lundi 13 février 2012

La vie est dans : La St-Valentin

La C**** de St-Valentin.

Impossible d'oublier la fête : ça pue l'amour et la tendresse dans les quatre coins de Québec (qui est trop romantique, mon namour!) , tous les commerces veulent vous bourrer de chocolat en forme de coeur, ça patine en rond en se lançant des regards ennamourés sur place d'Youville... Même pas moyen de noyer sa peine de célibataire dans l'alcool et la débauche ; la moitié de la population, regroupée par paire, occupe tous les bars et restaurants de la ville.

Pendant ce temps, l'autre moitié est en train de se taper The Notebook avec un pot de Haagen Daz à la pâte à gâteau. C'est ce qu'il y a de mieux à faire : s'enterrer. Rester chez soi, avec une doudou, un pyjama et un livre. Mais bon, ça finit toujours par parler d'amour, ces affaires-là, alors on branche la télé. Et sur quoi on tombe? La marieuse. Romance à Manhattan. Dirty Dancing. On se noit dans la guimauve, messieurs dames. Alors on décide de se coucher de bonne heure. Sauf que Voisindenhaut, lui, il est pas célibataire. Et que sa blonde fake terriblement mal.

Or donc.
Cette année.
J'ai décidé de voir la St-Valentin autrement.

Petite anecdote.

Voyez-vous, dans un de mes groupes, il y a ce garçon (appelons-le Roméo). Donc, le Roméo en question, il est beau. Pas mignon. Pas cute. Diablement beau. Petite gueule carrée, épaules larges, bras gonflés par le soulèvement répétitif de fonte...Rajoutez une attitude humoristico-arrogante par là-dessus et vous obtenez un curieux mélange entre George Clooney dans E.R. et Freddy Prince Junior dans Elle a tout pour elle.

Or, dans le même groupe se trouve une autre élève (pour la cause, Petite Brune). Petite Brune, c'est une subtile : timide au max, elle s'assoit dans le coin, si possible vêtue d'un chandail de la même couleur que le mur, histoire de passer inaperçue. Toujours le nez vers le sol, elle ne cherche presque jamais le contact visuel, parle doucement, et, la plupart du temps, nous fait le coup de l'homme invisible. Cependant, quand Roméo tend à passer dans son champ de vision, elle jubile.

Littéralement.
Bord en bord.
Le cerveau lui fond. Elle crache des p'tits coeurs à la cannelle. Vous saisissez l'image?

Roméo, jusqu'à tout récemment, avait une blonde (Juliette, naturellement...faut suivre, tsé), mais la semaine passée, lundi, tous deux se sont assis à deux coins opposés de la classe. Et Juliette a regardé le mur pendant toute la période. Triste, hein? Ça sent la rupture de fin de semaine, juste avant la St-Valentin...(quel salaud, tout de même...).

Bon. Inutile de mentionner que la chose n'est pas passée inaperçue aux yeux de P'tite Brune, qui est aussi subtile qu'une pluie de sécheuses. Sauf que, comme nous ne sommes ni dans Twilight, ni dans un autre quelconque film américain, les chances pour que Roméo repère P'tite Brune dans une classe pleine de filles parmis lesquelles siège toujours son ex est mince...

...et c'est là que j'interviens.
Je sais, I'm evil, je me mêle pas de mes affaires, bla bla...
Mais bon, il fallait que je fasse les équipes pour une série de Tables Rondes sur un choix de texte, et disons que j'ai peut-être un peu joué avec l'ordre alphabétique lors des divisions du groupe.
Parce que chaque petite brune, dans sa vie, devrait avoir au moins une chance de se ridiculiser en bafouillant devant l'homme de ses rêves.

Dans le fond, je suis Cupidon.
Et si ça ne fonctionne pas, The Notebook est disponible en DVD.

dimanche 12 février 2012

La vie est dans : Les vraies affaires.

À un certain point, on finit par se demander pourquoi on fait ce que l'on fait.

Vous savez ce que je fais, dans la vie?
Nah, je ne suis pas prof. Pas encore.
Je ne suis pas non plus une caissière. Pas de coeur, en tout cas.
Même pas une étudiante.

Non.

Moi, je sais ce que je suis depuis que j'ai quatorze ans.
Depuis que j'ai terminé mon premier roman.
Il faisait 143 pages, et je venais de finir de l'écrire. À la main. Sur des feuilles mobiles, dans un cartable vert. Je me cachais depuis des mois dans mes cours de math pour gribouiller là-dessus. Les profs le savaient. Et ils me laissaient faire. Parce que je réussissais bien en math, oui.

Mais que j'étais meilleure ailleurs.

Et il y a aussi toutes ces fois où j'ai ouvert un livre, plus jeune. Avant d'étudier en littérature, avant que le baccalauréat ne me fasse lire autrement. Avant de devenir la lettrée élitiste de votre cours de Mesure d'Évaluation. Je n'étais pas solitaire, je n'étais pas bizarre ni particulièrement intello. Mais je me cachais quand même dans le fond des couloirs avec le livre le plus volumineux de la bibliothèque. Et je lisais. Parce quand je plongeais entre les deux couvertures, j'avais l'impression de rencontrer quelqu'un. Et cette personne me racontait une histoire, comme ça, à coeur ouvert, sans que je n'aie rien à demander.

La lecture active les deux parties de votre cerveau. L'une d'entre elle s'occupe de saisir la forme, les syntagmes, la ponctuation. L'autre tente de s'ouvrir et de s'adapter à une pensée qui n'est pas la sienne et, à la fois, de se plonger dans une atmosphère qui diffère de ce que le lecteur vit dans le moment présent. Si l'auteur est doué et si le lecteur est bien entraîné, la partie de l'émotivité s'active. Elle produit des endorphines, de l'adrénaline, de l'amphétamine. À partir de ce moment-là, la partie droite du cerveau domine : le lecteur n'a plus conscience qu'il tourne des pages, il rate son arrêt de bus, se couche quatre heures trop tard. Ce n'est plus important.

Mais il faut les bons livres. Et le bon timing. Et il faut aussi laisser tomber toutes ses appréhensions, ses préjugés. Accepter d'ouvrir son esprit, sa sensibilité, et accepter surtout que quelqu'un d'autre mène ses pensées pour quelques chapitres. Quand on y arrive, quelque chose se produit.

Je pourrais vous le décrire. Mais vous connaissez déjà cette impression, cette chaleur, ce moment de grâce.

C'est pour ça que vous voulez enseigner.

Et pour subir tout ça, l'horaire incroyable, la fatigue, le stress et les moments de solitude avec des bouquins sur les genoux, il faut se rappeler pourquoi on fait ça. Pourquoi on endure, pourquoi on se jette là-dedans tête baissée. Alors qu'il n'y a pas de job, que ça ne paie pas, que c'est éprouvant et peu valorisé. On doit se rappeler ça pendant qu'on prépare nos examens, nos wikis, pendant qu'on joue à Stage Academy devant des classes contenant quatre dizaines d'élèves arborant tous le même air dubitatif.

Nos élèves ont 17 ans. Ils vivent dans un monde extrêmement difficile et ils le savent déjà. Ils sont désabusés et blasés, et ils ont raison de l'être. On leur a montré à parler, à marcher, à apprendre, et maintenant, ils détiennent la connaissance. Ils ne savent pas toujours où ils vont, mais vont dans le même sens que les autres. Et plus souvent qu'autrement, ils se retrouvent dans mes cours, avec tous le même avis.

La littérature est inutile.
Ils ont raison. Mais ce qui est inutile peut être aussi incroyablement important. Merveilleusement important. Parce que l'ouverture qu'ils témoignent à un livre consiste à la même ouverture qu'ils témoigneront à autre chose, plus tard. Les pensées passent par les livres, au-delà des morales et des moeurs. De l'autre côté du livre, il y a quelqu'un qui parle.

Et ce quelqu'un...c'est moi.

J'ai 84 élèves, cette session-ci. Je ne pourrai pas tous les rattraper. Et je ne vous dirai pas que, si je peux faire lire un seul d'entre eux, mon job sera fait. Ce n'est pas vrai. Mais je vais vous dire ceci.

Si je peux en intéresser 1, juste 1, à se passionner pour quoi que ce soit, là, j'aurai accompli quelque chose. Rien d'académique. Mais quelque chose d'humain.

Et c'est pour ça que j'enseigne. Parce que je suis écrivain. Parce que je suis humaine, parce que j'ai des choses à dire et que je n'ai jamais appris à me taire. Et parce qu'à cet âge-là, j'avais besoin d'être inspirée. Par n'importe quoi. Par n'importe qui.

Par un prof, peut-être.
Par vous, j'espère.

lundi 6 février 2012

La vie est dans : Les petits moments 2

Classe, 9h15 am. Après l'explication de l'exercice, les étudiants doivent venir écrire leurs noms au tableau pour se répartir en équipes selon divers sujets. Mais ce n'est pas très clair...

Prof Associé : (...) et donc, à partir de ces informations, vous devriez être capables d'exécuter le travail. Vous pouvez y aller.

Classe: ... (personne ne se lève).

Élève courageuse : Excusez-moi, Monsieur? Heum...on n'a rien compris.

Prof Associé : Heum...oui, je suis un peu confus, ce matin. DESScente, explique-leur donc.

Yes!
Stagiaire : 1
Prof Associé : 0

mercredi 1 février 2012

La vie est dans : Les Apprenants

On dirait le nom d'un regroupement de super-héros.

Oubliez les 4 fantastiques, X men et autres ligues qui tentent de défendre le bien triomphant contre les gros méchants : maintenant, vous faites face à la nouvelle génération.

Les Apprenants.

Ils n'ont pas d'arme magique ni de pouvoir spécial venu d'une autre galaxie. Ils n'engagent pas l'affrontement physique, ne se glissent pas dans de sombres rues à la recherche de la demoiselle en détresse, ne sont pas affublés d'identités secrètes (ou alors très rarement, quand ils essaient de rentrer au Star Bar). Cependant, armés de leurs iPod, cellulaires et autres bidules aux sonorités perturbantes, les Apprenants brandissent fièrement leur accès privilégié à la connaissance.

Scientia potesta est.

À l'heure où vous lisez ces lignes, nos Apprenants arrivent en classe, endimanchés de leurs costumes de super-héros (mention particulière à mes étudiants en Arts Visuels qui s'habillent avec ce qu'ils trouvent...) et s'assoient en clique autour d'un leader quelconque. Ce dernier fait le briefing des derniers évènements et illustre naturellement ses propos à l'aide de son engin à pitons. Pendant ce temps, deux ou trois mécréants partagent leurs devoirs (parce que le savoir, ça circule) alors qu'un pauvre appât est chargé de distraire monsieur Prof Associé.

Et alors que Evil Teacher Associated attire l'attention sur le tableau vert, les Wonders Learners s'avachissent sur leurs sièges. Car ils ont déjà compris la matière, bien sûr. Pas individuellement, c'est peu probable. Mais en communauté. Deux ou trois Apprenants qui maitrisent la parole interviennent à répétition. Les autres, au besoin, viennent à leur secours quand les premiers se mettent à patiner. Evil Teacher Associated tente d'une manière particulièrement vilaine de rechercher la participation de quelques individus au regard penché derrière le bureau, mais ces derniers sont secourus par d'autres Apprenants qui, d'une façon bienheureuse, ne contrôlent pas encore la technologie (trop avancée) de lever la main. Ils répondent d'une façon correcte et on passe à d'autres choses. Ou alors, d'une manière subtile mais efficace, ils dévient sur un autre sujet. Car ils ont deviné la faiblesse de Evil Teacher Associated , dont la tendance à dévier dans l'anecdote fait légion. Et les Apprenants entrent dans la brèche avec force et plaisir.

Evil Teacher Associated finit par faire une blague que personne ne comprend, puis, encore une fois, on passe à autre chose.

Les Apprenants sont satisfaits. Ce sont les Rois du Monde, le panacé de la nouvelle génération. Prochain devoir? Pas de problème. Ils ne copieront pas, non : le plagiat, c'est mal. Mais ils vont s'inspirer. Cent-vingt copies inspirées de Wikipedia. Les analyses vont toutes dans le même sens. Même chose quand on tentera de trouver le deuxième degré. En une seconde, les Apprenants, plus rapides que l'éclair, auront tout découvert.

Seul inconvénient : ils ne savent pas pourquoi.

Voilà la faiblesse des Apprenants. Après avoir eu la chance d'obtenir l'accès à la connaissance d'une manière rapide et illimitée, ils doivent subir la déconfiture et la disgrâce de la facilité. C'est leur capacité à faire des liens entre les divers concepts et à pousser leur réflexion plus profondément qui souffre le plus de ces nouveaux outils. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'une loi d'Évangile, mais certains de mes apprenants ont une furieuse tendance à croire qu'ils savent déjà tout avant d'avoir saisi comment se rendre là.

Bref, à connaître à la réponse trop rapidement, on finit par ne plus se poser la question.

Heureusement, les Apprenants restent pleins de ressources. Les bidules sont interdits pendant la classe (même s'ils ne sont jamais bien loin des mains), Prof Associé les oblige donc à se servir de leurs caboches, pas de leurs pouces. Les effort me semblent donc véritables, pour la plupart d'entre eux.

Les autres rient aux blagues de Prof Associé.