samedi 23 février 2013

La vie est dans : Le p'tit criss

Peu importe où j'enseigne, c'est toujours le même pattern. En avant de la classe, il y a les licheux de profs, les insécures et les bien-pensants. En arrière, on trouve ceux qui reprennent le cours pour huitième fois et qui pensent qu'à force de le suivre, ils vont finir par le passer, les pseudo-cools qui croient encore que le ratio entre la distance de leurs fesses et l'arrière de la classe est directement relié à leur cote de popularité, les allergiques à la poussière de craie, les endormis et les texteux compulsifs qui pensent que je n'ai pas remarqué qu'ils sourient à leurs cuisses. Quelque part dans le milieu, on trouve les gagnes de filles, les namoureux, les rêveurs...pis le p'tit criss.

Lui, il arrive - dix minutes en retard - avec son air arrogant, ses fancy boots, son air je-m'en-foutiste et son attitude rebelle. Il marche comme s'il tenait le beat, porte de gros écouteurs, sourit aux filles et fait des signes trendy de la main aux gars. Il ne porte son sac que sur une épaule, il est le King de sa cohorte et il pense que le monde lui appartient. Quand il rentre dans ma classe, il considère que je lui dois quelque chose. Il conteste ma matière, essaie de me manipuler, ne travaille pas...et passe quand même ses examens.

Eux-autres, ils m'écoeurent.
Et ils sont souvent mes préférés.
Cette année, j'en ai un.

Il est plus vieux que moi. Il vient de la Nouvelle-Calédonie, il se prend pour un intellectuel mais il n'a jamais ouvert un livre. Il pense que le français de France est meilleur que le mien, que l'écriture c'est pour ceux qui ne savent pas parler, que les classiques sont des niques à poussière et que le Cégep est une idée folle de québécois incapables de se brancher. Il pose son cul sur une chaise quatre heures par semaine parce qu'il est obligé, ne fait jamais un devoir ni aucune  lecture.

Aujourd'hui, il devait retravailler son plan pour sa rédaction de la semaine prochaine. Il m'a dit, devant toute la classe bien sûr - sinon, ce ne serait pas cool - que ça ne lui tentait pas de travailler. Qu'il pouvait faire ça de chez lui, que mon cours s'en trouvait inutile. Je lui ai répondu qu'il devrait profiter d'être là pour me poser des questions et profiter du temps offert pour avancer son travail. Il a continué à m'obstiner. Je lui ai demandé de sortir.

Et soudain, il ne voulait plus sortir.

Note à moi-même : on ne résonne pas un paresseux, encore moins un paresseux qui veut avoir raison. Probablement que ça a déjà marché, avant. Qu'une petite prof a craqué pour ce genre d'insubordination. Il a peut-être déjà fait pleurer une suppléante et a rocké l'école primaire pendant un temps.

Mais là, Mr.King, t'es rendu au Cégep.
And there, I am the Queen.

Je lui ai envoyé un courriel. Tout simple. Qui lui révélait que la classe, ce n'est pas une lutte de pouvoir. Mon cours n'est pas un jeu. Pas parce que ça dérange les autres. Pas parce que son éducation est importante. Nanon.

Parce que j'ai déjà gagné.

Ma classe, my game, baby.  Je suis le boss dans ma salle de cours. J'ai le droit de te remettre à ta place, si je veux. Je peux te sortir. Je peux t'interdire de revenir. Je peux avertir ton A.P.I. Je peux t'interroger à répétition sur des sujets que tu ne connais pas et te faire passer pour un con. Je peux te rembarrer. Je peux arrêter de tolérer tes retards et t'empêcher de rentrer. Je peux te mettre en équipe avec la gagne qui reprend le cours pour la huitième fois et qui ne comprends toujours que dalle. Je peux te demander de lire à voix haute devant tout le monde. Je peux t'obliger à te lever pour écrire au tableau. Je peux t'obliger à t'asseoir en avant. Je peux te convoquer à mon bureau avec un membre de la direction pendant ton match de volley.

Mon p'tit criss, si tu me cherches, ta vie va devenir un enfer. Et crois-moi, j'ai de l'imagination. Faque adjust.

...ben non, je ne lui ai pas écrit ça.
Mais s'il me provoque une autre fois devant mes étudiants, il va pogner dequoi.
Il va se frapper à l'InDESScente.
'Cause it's true...still the Queen.
Pis dans mon jeu de carte, c'est toi le deux de pique. 

5 commentaires:

  1. Wow! J'aime ça. La puissance professorale dans tout son éclat. Quand le petit criss aura senti ce à quoi il s'attaque, il prendra son trou. Mais des fois, ils sont tellement criss qu'il faut que la brise devienne une tempête pour qu'ils la sentent. Bonne chance!

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    1. Merci! J'ai une patience d'ange, d'habitude, mais celui-là, je lui ai déjà donné trop de corde. Il va finir par se pendre avec, s'il continue à l'user de même!

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  2. Ah le cégep! Je suis contente d'être à la maternelle! :)

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  3. Me semble que rendu au Cégep, c'est supposé être sur une base volontaire que tu étudies, que tu prends des cours, que tu suis le cours...
    Un comportement de même au secondaire, peut-être, mais rendu à 16-17-18 ans, l'adulte en toi devrait peut être arrêter de someiller et se retrousser les manches.

    Pas de temps à perdre avec un ti morveux de même. J'enseigne en secondaire 1 pis un petit revendicateur de même ferait pas long feu dans mon groupe...

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    1. Surtout qu'il a genre 27-28 ans...mais que veux-tu, la maturité n'est pas un préalable aux études supérieures :p

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