La correction, chez nous, ça se fait sur la table de la cuisine avec un verre de vin blanc.
C'est le moment doux-amer des profs en tout genre. Parfois on prend une gorgée de miel, parfois d'arsenic...on constate par la bande qui dort depuis le début de la session, qui écoute à mi-temps, qui se prend pour Shakespeare dans son cours de français...et qui a appris il y a longtemps que parler ne signifie pas nécessairement dire quelque chose.
La plupart du temps, j'essaie de déchiffrer un bla-bla pseudo scientifique très mal amené et mal décortiqué. Entre la logique de Toto et la Tautologie, j'erre à la recherche du moindre élément valable. Je creuse jusqu'au dixième plancher dans la réflexion labyrinthique des adultes émergeants qui tardent à émerger jusqu'à ce que j'en déterre la trace faible, mais réelle, du cours que j'ai donné.
Ce n'est pas toujours évident. Tout d'abord, on doit se le dire, y'a quelqu'un qui a raté le film The syntaxe VS the sémantique. Je comprends ce que tu veux dire, chaton. C'est juste pas ça que t'es en train de me dire. Tu sais, je comprends que tu veux dire que X est très très amoureux d'Y. Mais tu ne peux pas dire qu'il est tout perdu d'amour...éperdu, oui, tout perdu, non...Aussi, les virgules, même si t'en plante aux deux pieds, elles ne pousseront pas. Désolée de briser tes espoirs de voir germer dans tes copies une pousse de francofolie. Tout ce que je vois germer, c'est une céphalée à chaque fois que je croise une nouvelle virgule semée aux hasard en plein milieu de tes subordonnées relatives. Aoutch!
Y'a aussi ceux qui inventent des mots. Parce qu'avoir du vocabulaire, c'est payant. Il faut prouver qu'on lit, tsé, pis qu'on a ouvert le dictionnaire. Sauf qu'on se mélange les pinceaux un peu, hein, lapin? La forme transitive d'être « récréant », c'est pas d'être en récréation. Ni en récréitude... À part le petit sourire baveux dans un coin de mon visage, tu ne provoques pas grande réaction avec ça. Et si c'était le pire...À force de chercher des synonymes, on dévie un peu. Comme ça, Lancelot part avec ses escadrons combattre le méchant? Ils se battent sûrement avec des semi-automatiques (l'arme blanche, ça fait tellement Antiquité...). Aussi, quand il appelle sa blonde « sa mie et sa drue », non, il ne la compare pas à la partie molle du pain ni ne souligne sa pilosité légendaire. Pitié.
Il y a aussi le bout où ils doivent trouver des figures de style et des images. La plus facile? L'énumération. Pas compliqué : tu spottes le paquet de virgules. Mais une fois que c'est fait, il faut l'expliquer. Beaucoup moins simple. Aussi, une énumération doit comporter, techniquement, plus que deux éléments, ce qui ne semble pas constituer une vérité d'évangiles pour mes petits étudiants. Y'a aussi ceux qui s'essayent avec les métaphores. Tout devient une métaphore. Un moment donné, le personnage beurre son pain.Non, l'auteur ne fait pas allusion au combat à venir, ni à la virilité du chevalier, ni à la façon dont il va s'«étendre» avec sa compagne. C'est seulement un signe qu'avec du beurre, c'est bien meilleur.
Ce qui m'amène à mon erreur préférée : l'erreur de compréhension. Ça, d'habitude, ça vient du gus qui n'a pas lu le livre et qui patine des réponses comme il peu. Pourquoi Énide aime Érec? Bah heu...c'est le seul chevalier disponible, tous les autres ont déjà des compagnes. Pas le choix, hein? Pourquoi le chevalier a-t-il perdu son honneur? Heum...parce qu'il n'a pas fait ce que le peuple demandait. Ok. Et qu'est-ce qu'il demandait, ce peuple-là? Aheum *sueurs froides*...un chevalier qui ferait ce qu'on demande? Bravo, mon poussin. T'as rien compris.
Après une demie-heure de correction, l'amusement se transpose en lassitude et je passe à un autre élément de ma vie d'enseignante (genre écrire ma vie ici). Cependant, mes cinquante copies me regardent d'un oeil inquisiteur. Oui, oui, je vous obéis, mes petites. Je reviens, esclave de ma passion, employée de mes étudiants.
Qui me doivent un crayon rouge.
Et une autre bouteille de vin.
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