samedi 9 mars 2013

La vie est dans : Faire ses adieux



Max : Salut Val.

Il n’avait pas l’air étonné de ma présence. Du moins, pas autant que je ne l’étais de la sienne. Il ne devait pas être là, c’était son jour de congé. La tête à peine relevée de derrière le comptoir, il m’avait repérée au son de ma voix. Il me souriait en coin, de ce petit sourire heureux qu’il arborait quand j’arrivais dans son dépanneur. Je n’avais pas le choix, dans ces cas-là. Fallait que je souris aussi.

Moi : Qu’est-ce que tu fais-là?

Max : Je suis venu voir mon horaire. Acheter de la bière, aussi. Petit samedi de congé.

Moi : Cool.

Il s’est déplié de derrière le comptoir. Il est grand, Max. Six pieds d’insubordination et d’arrogance pour toutes les figures d’autorité qu’il croise. Mais pas avec moi. Avec moi, Max, c’est un géant de sucre. Ou de papier.

Max : Tu as le temps pour une bière?

Moi : Si on la cale, ok.

Pas que j’aime tant caler de la bière. Ça m’étouffe, ça me remonte dans le nez, c’est désagréable. Mais j’avais envie de m’asseoir près de lui, sur notre congélateur. Parce que ça faisait longtemps que je ne m’étais pas assise à côté de lui. Parce que ça faisait longtemps qu’on n’avait pas été devant le Couche-Tard à regarder les voitures passer, en pleine nuit, juste parce qu’on a envie d’être ensemble.

Il a attrapé son six packs et je l’ai suivi dehors. Il faisait doux, un temps humide et sale de Québec. Le parking était désert ; seule ma voiture traînait encore devant le poste d’essence. Max m’a tendu une canette qu’il venait d’ouvrir. Il a sorti ses cigarettes. C’était le temps des ronds de fumée et des gorgées à moitié. On se serait cru au début des années 2000.

Max : Quelqu’un sait que tu es en ville?

Moi : Non. Enfin, toi. J’ai texté quelqu’un d’autre, mais j’ai pas encore eu de réponse.

Il a opiné, Max, mais il avait cet air heureux que prennent ceux qui se croient privilégiés. Je lui ai tendu la bière et il en a pris une gorgée.

Max : Comment tu trouves ça, Sept-Îles?

Moi : Loin.

Je me suis étirée en fermant les yeux. J’avais l’impression d’avoir changé de pays en quelques heures. Ici, le paysage fondait dans l’air du temps. L’air mouillait le fond de la gorge, la doublure des bottes, et le regard de mon compagnon.

Moi : As-tu repris tes études?

Max : J’attends le retour de mon prof.

Moi : Tu vas attendre longtemps.

La petite phrase a eu son effet : Max a haussé un sourcil. Pas grand-chose : petite expression de perplexité dans la moitié d’un visage. Mais chez Max, ce simple geste exprimait la plus grande hébétude. J’ai regardé le sol et j’ai senti la canette se glisser dans ma main. J’ai bu.

Max : T’as décidé ça quand?

Moi : Là, là.

Le reproche dans le ton de sa voix m’a agacée. Il a cette tendance à être passif-agressif, Max. Un rien moralisateur. J’ai senti le besoin de me justifier.

Moi : Y’a tout, pour moi, là-bas. Du travail, une carrière, une sécurité. De grands espaces. De l’air. Du changement.

Max : Mais y’as-tu du monde qui t’aime, là-bas? Y’as-tu un gars qui t’aime?

Ce fut mon tour de sourire en coin, mais pas parce que c'était drôle. Il aime le drame, Max. Il a toujours aimé ça. J’ai regardé ses yeux bleus pour essayer d’y trouver l’étincelle qui m’avait plu, une fois.  Ce petit rien qui m'aurait retenue près de lui. Mais elle s’était éteinte. Alors je me suis levée. Lasse de mon voyage. Lasse de cette étape de ma vie qui s’étirait.

Moi : Tu comprends pas, Max. Ce genre d’amour-là, j’en veux plus.

Max : Tu pourras pas fuir ça toute ta vie.

Moi : Non. Mais deux, trois ans encore, certain.

Je lui ai tendu la canette de bière et il l’a prise. En profitant pour effleurer mes doigts, une seconde. S’il n’avait pas pris cet air innocent, je ne m’en serais même pas rendu compte.

Max : Si je comprends bien, t’es pas venue dire bonjour. T’es venue dire adieu.

Moi : Toi pis tes grandes phrases…

Mais ce n’est pas parce que la phrase était lourde qu’elle était moins vraie. J’ai senti mon cellulaire vibrer dans ma poche. C’était le signal. Le vent tournait à ce moment-là, et j’étais la seule à le savoir. 
J’ai regardé Max en essayant d’imprimer son visage dans ma mémoire. Je savais qu’après ça, ce serait terminé. Qu’il ne me le pardonnerait pas, et que je ne me le pardonnerais pas moi-même. Qu’il n’y aurait pas d’effusion, ni de grand moment d’accolade, ni de larme. Il n’y aurait que deux personnes qui quittent un congélateur. Mais il fallait que je m’en souvienne.

Parce qu’il est si beau, Max.

Moi : Va falloir que j’y aille.

Max : Pourquoi t’es pressée? Personne sait que t’es là. Personne t’attends.

Moi : Y’a toujours quelqu’un qui m’attends quelque part.

C’était vrai. Je voulais surprendre d’anciens collègues à leur sortie du travail, les minutes étaient comptées. Et il y avait l’autre gars, aussi, mais ça, Max n’avait pas besoin de le savoir. Il a vidé sa bière. One shot. J’ai vu sa pomme d’Adam monter et descendre, et c’était fini. Il s’est levé, mais est resté appuyé contre le congélateur.

Max : C’est plate.

Moi : Je suis d’accord.

On a haussé les épaules parce qu’on savait que ça se finissait là. Qu’on ne resterait pas amis. Qu’on ne garderait pas contact.

Et pourtant, encore un long moment, on est restés là, incapables de se dire au-revoir.

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