vendredi 22 mars 2013

La vie est dans : L'overdose de vertu

On m'a comparée à une poupée, aujourd'hui.

Ça m'a fait drôle parce que j'ai perdu l'habitude des compliments. Faut dire, j'ai perdu l'habitude d'attirer les regards et donc les jolis mots qui viennent avec. Les gens ici croient que je suis issue d'un curieux croisement entre une maman et une grand-mère (croisement impossible, certes, mais tout de même intéressant!). Il semble que je me sois développé une routine de vieille fille bien calée dans ses coussins en macramé.

Il me semble loin le temps où mes décolletés étaient plus plongeants qu'un Alexandre Despatie au plus fort de sa carrière. Mes jupes provocantes prennent la poussière dans le fond d'un placard, remplacées par de longs pans de tissus qui n'ont plus grand chose d'indécent. Mes talons les plus hauts ne dépassent pas le deux pouces réglementaire, toutes les autres chaussures à la hauteur déloyale dorment dans mon coffre de voiture. Je cache mes tatouages, les maquille au besoin. Je porte mes lunettes au lieu de mes verres de contact. Le soir, à la place de Sex in the City, je regarde The Big Bang Theory, j'ai troqué les Cosmos pour des tisanes au tilleul. J'écoute la musique de Chopin, j'ai oublié Britney. Je décore, je couds, je cuisine, je nettoie, je frotte, je plie, j'aspire, je balaie, je brode, je tricote...

...bref, je m'emmerde.

Au lieu de traîner dans les bars de toutes sortes avec des fréquentations peu recommandables, mes souliers dans une main et le goulot d'une bouteille dans l'autre, j'aménage l'appartement de mon colocataire. Il me semble loin le temps où j'ouvrais les deux portes principale pour entrer dans un lieu de perdition dans le but de me faire payer des verres par des inconnus, de tirer les cheveux d'une comparse et de partir avec le barman à la fin de la veillée. Je ne laisse plus mon numéro de téléphone aux serveurs des restaurants ; d'ailleurs, je ne parle presque plus au téléphone. En tout cas, mon cellulaire n'a pas sonné depuis au moins un mois, rangé dans un tiroir de ma commode. Ce n'est pas peu dire, j'ai même (presque) arrêté de draguer les caissiers de dépanneur.

C'est que, voyez-vous, j'ai peur de la ville.

Ici, assumer une vie de péchés équivaut à recevoir un aller-simple pour Ailleurs. Les rumeurs vont plus vite que les transports en commun (faut dire, ce n'est pas très difficile de battre une calèche à la course...), tout le monde connaît vaguement tout le monde (échanger une demie-heure avec le livreur de pizza est une pratique tout à fait commune) et les étudiants sont partout. On ne peut même plus aller au service au volant du McDonald's en pyjama sans en entendre parler en réunion départementale! Alors sortir dans les bars, les attributs dévoilés, le regard aguicheur et la bouche invitante, c'est une très mauvaise idée. Vous ne le savez pas, mais vous êtes en train de draguer le frère de la fille de l'oncle du cousin de la tante d'un de vos étudiants. Dans deux heures, tout le monde croira que vous êtes une croqueuse d'homme à l'appétit insatiable.

Bon, j'en suis une, mais j'apprécie de traquer du côté des anonymes. Alors je suis supposée faire quoi,? Aller cruiser à l'église?

Non. Je nous terre, moi et mon côté coquin, bien cachés derrière un personnage plein de sagesse et de candeur.

Personne ne se doute que je suis en train de faire une overdose de vertu. Que la folie me guette.

Mais je descends à Québec dans une semaine.
Ce ne sera pas joli.

samedi 9 mars 2013

La vie est dans : Faire ses adieux



Max : Salut Val.

Il n’avait pas l’air étonné de ma présence. Du moins, pas autant que je ne l’étais de la sienne. Il ne devait pas être là, c’était son jour de congé. La tête à peine relevée de derrière le comptoir, il m’avait repérée au son de ma voix. Il me souriait en coin, de ce petit sourire heureux qu’il arborait quand j’arrivais dans son dépanneur. Je n’avais pas le choix, dans ces cas-là. Fallait que je souris aussi.

Moi : Qu’est-ce que tu fais-là?

Max : Je suis venu voir mon horaire. Acheter de la bière, aussi. Petit samedi de congé.

Moi : Cool.

Il s’est déplié de derrière le comptoir. Il est grand, Max. Six pieds d’insubordination et d’arrogance pour toutes les figures d’autorité qu’il croise. Mais pas avec moi. Avec moi, Max, c’est un géant de sucre. Ou de papier.

Max : Tu as le temps pour une bière?

Moi : Si on la cale, ok.

Pas que j’aime tant caler de la bière. Ça m’étouffe, ça me remonte dans le nez, c’est désagréable. Mais j’avais envie de m’asseoir près de lui, sur notre congélateur. Parce que ça faisait longtemps que je ne m’étais pas assise à côté de lui. Parce que ça faisait longtemps qu’on n’avait pas été devant le Couche-Tard à regarder les voitures passer, en pleine nuit, juste parce qu’on a envie d’être ensemble.

Il a attrapé son six packs et je l’ai suivi dehors. Il faisait doux, un temps humide et sale de Québec. Le parking était désert ; seule ma voiture traînait encore devant le poste d’essence. Max m’a tendu une canette qu’il venait d’ouvrir. Il a sorti ses cigarettes. C’était le temps des ronds de fumée et des gorgées à moitié. On se serait cru au début des années 2000.

Max : Quelqu’un sait que tu es en ville?

Moi : Non. Enfin, toi. J’ai texté quelqu’un d’autre, mais j’ai pas encore eu de réponse.

Il a opiné, Max, mais il avait cet air heureux que prennent ceux qui se croient privilégiés. Je lui ai tendu la bière et il en a pris une gorgée.

Max : Comment tu trouves ça, Sept-Îles?

Moi : Loin.

Je me suis étirée en fermant les yeux. J’avais l’impression d’avoir changé de pays en quelques heures. Ici, le paysage fondait dans l’air du temps. L’air mouillait le fond de la gorge, la doublure des bottes, et le regard de mon compagnon.

Moi : As-tu repris tes études?

Max : J’attends le retour de mon prof.

Moi : Tu vas attendre longtemps.

La petite phrase a eu son effet : Max a haussé un sourcil. Pas grand-chose : petite expression de perplexité dans la moitié d’un visage. Mais chez Max, ce simple geste exprimait la plus grande hébétude. J’ai regardé le sol et j’ai senti la canette se glisser dans ma main. J’ai bu.

Max : T’as décidé ça quand?

Moi : Là, là.

Le reproche dans le ton de sa voix m’a agacée. Il a cette tendance à être passif-agressif, Max. Un rien moralisateur. J’ai senti le besoin de me justifier.

Moi : Y’a tout, pour moi, là-bas. Du travail, une carrière, une sécurité. De grands espaces. De l’air. Du changement.

Max : Mais y’as-tu du monde qui t’aime, là-bas? Y’as-tu un gars qui t’aime?

Ce fut mon tour de sourire en coin, mais pas parce que c'était drôle. Il aime le drame, Max. Il a toujours aimé ça. J’ai regardé ses yeux bleus pour essayer d’y trouver l’étincelle qui m’avait plu, une fois.  Ce petit rien qui m'aurait retenue près de lui. Mais elle s’était éteinte. Alors je me suis levée. Lasse de mon voyage. Lasse de cette étape de ma vie qui s’étirait.

Moi : Tu comprends pas, Max. Ce genre d’amour-là, j’en veux plus.

Max : Tu pourras pas fuir ça toute ta vie.

Moi : Non. Mais deux, trois ans encore, certain.

Je lui ai tendu la canette de bière et il l’a prise. En profitant pour effleurer mes doigts, une seconde. S’il n’avait pas pris cet air innocent, je ne m’en serais même pas rendu compte.

Max : Si je comprends bien, t’es pas venue dire bonjour. T’es venue dire adieu.

Moi : Toi pis tes grandes phrases…

Mais ce n’est pas parce que la phrase était lourde qu’elle était moins vraie. J’ai senti mon cellulaire vibrer dans ma poche. C’était le signal. Le vent tournait à ce moment-là, et j’étais la seule à le savoir. 
J’ai regardé Max en essayant d’imprimer son visage dans ma mémoire. Je savais qu’après ça, ce serait terminé. Qu’il ne me le pardonnerait pas, et que je ne me le pardonnerais pas moi-même. Qu’il n’y aurait pas d’effusion, ni de grand moment d’accolade, ni de larme. Il n’y aurait que deux personnes qui quittent un congélateur. Mais il fallait que je m’en souvienne.

Parce qu’il est si beau, Max.

Moi : Va falloir que j’y aille.

Max : Pourquoi t’es pressée? Personne sait que t’es là. Personne t’attends.

Moi : Y’a toujours quelqu’un qui m’attends quelque part.

C’était vrai. Je voulais surprendre d’anciens collègues à leur sortie du travail, les minutes étaient comptées. Et il y avait l’autre gars, aussi, mais ça, Max n’avait pas besoin de le savoir. Il a vidé sa bière. One shot. J’ai vu sa pomme d’Adam monter et descendre, et c’était fini. Il s’est levé, mais est resté appuyé contre le congélateur.

Max : C’est plate.

Moi : Je suis d’accord.

On a haussé les épaules parce qu’on savait que ça se finissait là. Qu’on ne resterait pas amis. Qu’on ne garderait pas contact.

Et pourtant, encore un long moment, on est restés là, incapables de se dire au-revoir.

jeudi 7 mars 2013

La vie est dans : Corriger des copies

La correction, chez nous, ça se fait sur la table de la cuisine avec un verre de vin blanc.

C'est le moment doux-amer des profs en tout genre. Parfois on prend une gorgée de miel, parfois d'arsenic...on constate par la bande qui dort depuis le début de la session, qui écoute à mi-temps, qui se prend pour Shakespeare dans son cours de français...et qui a appris il y a longtemps que parler ne signifie pas nécessairement dire quelque chose.

La plupart du temps, j'essaie de déchiffrer un bla-bla pseudo scientifique très mal amené et mal décortiqué. Entre la logique de Toto et la Tautologie, j'erre à la recherche du moindre élément valable. Je creuse jusqu'au dixième plancher dans la réflexion labyrinthique des adultes émergeants qui tardent à émerger jusqu'à ce que j'en déterre la trace faible, mais réelle, du cours que j'ai donné.

Ce n'est pas toujours évident. Tout d'abord, on doit se le dire, y'a quelqu'un qui a raté le film The syntaxe VS the sémantique. Je comprends ce que tu veux dire, chaton. C'est juste pas ça que t'es en train de me dire. Tu sais, je comprends que tu veux dire que X est très très amoureux d'Y. Mais tu ne peux pas dire qu'il est tout perdu d'amour...éperdu, oui, tout perdu, non...Aussi, les virgules, même si t'en plante aux deux pieds, elles ne pousseront pas. Désolée de briser tes espoirs de voir germer dans tes copies une pousse de francofolie. Tout ce que je vois germer, c'est une céphalée à chaque fois que je croise une nouvelle virgule semée aux hasard en plein milieu de tes subordonnées relatives. Aoutch!

Y'a aussi ceux qui inventent des mots. Parce qu'avoir du vocabulaire, c'est payant. Il faut prouver qu'on lit, tsé, pis qu'on a ouvert le dictionnaire. Sauf qu'on se mélange les pinceaux un peu, hein, lapin? La forme transitive d'être « récréant », c'est pas d'être en récréation. Ni en récréitude... À part le petit sourire baveux dans un coin de mon visage, tu ne provoques pas grande réaction avec ça. Et si c'était le pire...À force de chercher des synonymes, on dévie un peu. Comme ça, Lancelot part avec ses escadrons combattre le méchant? Ils se battent sûrement avec des semi-automatiques (l'arme blanche, ça fait tellement Antiquité...). Aussi, quand il appelle sa blonde « sa mie et sa drue », non, il ne la compare pas à la partie molle du pain ni ne souligne sa pilosité légendaire. Pitié.

Il y a aussi le bout où ils doivent trouver des figures de style et des images. La plus facile? L'énumération. Pas compliqué : tu spottes le paquet de virgules. Mais une fois que c'est fait, il faut l'expliquer. Beaucoup moins simple. Aussi, une énumération doit comporter, techniquement, plus que deux éléments, ce qui ne semble pas constituer une vérité d'évangiles pour mes petits étudiants. Y'a aussi ceux qui s'essayent avec les métaphores. Tout devient une métaphore. Un moment donné, le personnage beurre son pain.Non, l'auteur ne fait pas allusion au combat à venir, ni à la virilité du chevalier, ni à la façon dont il va s'«étendre» avec sa compagne. C'est seulement un signe qu'avec du beurre, c'est bien meilleur.

Ce qui m'amène à mon erreur préférée : l'erreur de compréhension. Ça, d'habitude, ça vient du gus qui n'a pas lu le livre et qui patine des réponses comme il peu. Pourquoi Énide aime Érec? Bah heu...c'est le seul chevalier disponible, tous les autres ont déjà des compagnes. Pas le choix, hein? Pourquoi le chevalier a-t-il perdu son honneur? Heum...parce qu'il n'a pas fait ce que le peuple demandait. Ok. Et qu'est-ce qu'il demandait, ce peuple-là? Aheum *sueurs froides*...un chevalier qui ferait ce qu'on demande? Bravo, mon poussin. T'as rien compris.

Après une demie-heure de correction, l'amusement se transpose en lassitude et je passe à un autre élément de ma vie d'enseignante (genre écrire ma vie ici). Cependant, mes cinquante copies me regardent d'un oeil inquisiteur. Oui, oui, je vous obéis, mes petites. Je reviens, esclave de ma passion, employée de mes étudiants.

Qui me doivent un crayon rouge.
Et une autre bouteille de vin.