jeudi 22 mai 2014

La vie est dans : La répartition logistique

Je suis en train de surveiller le dernier examen de la session. Oui oui, nous finissons en beauté, ce matin, avec un beau quatre heures de rédaction sur Cyrano de Bergerac, pièce de théâtre presque classique qui n'a pourtant pas soulevé les cœurs de mes classes, cette session-ci. Alors qu'ils s'échinent à me décortiquer l'acte V, moi, j'écris deux trois affaires sur mon blogue que je néglige ces temps-ci. Faut dire que j'ai le droit ; je suis prof, je travaille, bon.

Or, alors que je les observe, je ne peux m'empêcher de confirmer ma théorie. En effet, je ne vous apprendrai rien en vous disant que mes étudiants s'assoient dans mes cours (oui oui, on ne passe pas nos heures de cours hebdomadaires debout en cercle autour du ti-tableau!). Or, à chaque nouvelle classe, je constate une récurrence entre les personnages qui fréquentent mon cours et l'emplacement de leur postérieur. Je me permets donc de vous soumettre un plan, parce que c'est drôle et que je m'ennuie.

Notez que le masculin est utilisé pour alléger le texte. Un p'tit criss peut bien être une petite criss, mais ça sonne juste moins bien.
Allons-y donc méthodiquement.

1. Devant de la classe, centre.
1.1. Le redondant.
Celui-là, il reprend le cours pour la troisième fois. C'est sa dernière chance. Il arrive le premier jour après avoir fait imprimer son plan de cours, un café frais à la main, les cheveux dans le vent. Il est prêt, il est motivé - comprendre : il a peur...-, il a acheté des cahiers neufs et il a rempli la première page de son agenda avec ses devoirs. Celui-là, les deux premières semaines, il est participatif, impliqué, son regard est clair et ses yeux pleins d'espoir. Cependant, après deux semaines et peut-être un premier examen, ou il se décourage ou il s'assoit sur ses lauriers. Vous le verrez d'ailleurs se déplacer physiquement jusqu'à sa prochaine localisation de la classe...

1.2. L'anxieux.
Souvent à sa première tentative dans le cours, l'anxieux n'a qu'une frayeur : échouer. Pas trop loin du redondant dans l'essence, il a tout de même, pour particularité, de retarder votre départ après chaque cours d'une dizaine de minutes, juste pour voir s'il a bien compris. C'est aussi lui qui fait déborder votre boîte courriel - surtout la veille d'un examen - sans poser aucune question critique, puisqu'habituellement, il comprend très bien la matière. C'est lui aussi qui va vous faire lever 18 fois pendant son examen final pour vous demander si son crayon bleu est « assez bleu » pour faire son propre et qui ira faire 22 pipis nerveux. Faut pas les juger, faut juste les aimer.

1.3. Le licheux.
Lui, quelque part dans son parcours, il a changé de stratégie. Certains de mes licheux ont porté ma mallette ; d'autres m'ont ouvert des portes, m'ont offert du chocolat. Je soupçonne même l'un d'entre eux de m'avoir offert une fleur, l'an passé, mais je n'ai pas de preuve. Qu'à cela ne tienne ; cet étudiant n'a qu'un but : plaire à son prof. Par n'importe quel moyen, il va devenir votre meilleur ami, du moins le pense-t-il, parce qu'on ne peut pas faire échouer son meilleur ami (c'est pas gentil). Il va répondre aux questions, faire ses devoirs, participer à vos activités, mais toujours en laissant traîner un filet de bave collante sur votre moral. Bref, il est comme ce gars qui essayait trop fort, un fois : vous ne savez pas pourquoi, mais il vous tape sur les nerfs. Par contre, ses chocolats sont bons.

2. Devant de classe, sur les côtés
2.1. Le provocateur.
Lui, il a fait le cours peut-être. Une fois max. Ou alors, il vient de France. Ou encore, il a déjà lu le livre. Et pour une raison mystérieuse, il croit en savoir plus long que vous sur la chose. Le provocateur s'installe sur le côté et, pour une raison que j'ignore, a tendance à s'étendre beaucoup sur son territoire. C'est lui qui arrive avec sa poche de hockey ou sa grosse sacoche et dépose son fatras sur le bureau d'à côté ; il met ses pieds sur la chaise, se poste, un peu croche, le menton haut, et surveille vos dires, jusqu'au doute. Il vous sort des phrases du genre : « Oui mais, d'après Jean-Paul Sartre... », souvent hors contexte, ou vous amène sur une théorie un peu déjantée sur la signification du vase bleu dans une scène pleine de bibelots. Son but unique : vous déstabiliser. Fait intéressant, j'ai autant d'esprit de bottine que lui, mais j'ai plus d'expérience. Qui gagne, d'après vous?

2.2. Le discret.
Souvent un étudiant étranger, le discret s'installe en silence, passe le cours en silence et s'en va en silence. Il porte du gris, ou alors un chandail de la même couleur que le mur. Il suit très bien votre cours, a des résultats corrects et vous n'arrivez jamais à vous souvenir de son nom. Quand il pose une question, c'est du bout des lèvres. Si vous proposez un exposé oral, il fait des terreurs nocturnes. C'est à peu près tout ce que j'ai à dire sur lui, ce n'est pas vraiment un sujet à paragraphe...

2.3. Le dyslexique-TDAH-muet
Il est venu vous avertir au premier cours. Vous l'avez informé que vous n'aviez rien à savoir de son diagnostic, mais il a tenu à vous en informer, parce qu'il est fier de ce qu'il est. Vous avez compris qu'il a droit à plus de temps pour faire ses examens, vous êtes plus laxiste sur l'heure de remise de travaux dans son cas, vous endurez même ses retards. Parfois, il déborde un peu (mettons que l'empathie est une arme redoutable rapidement maîtrisée par ce type d'étudiant), mais, la plupart du temps, vous vous contentez de le ramener quand il semble être débranché depuis trop longtemps (comprendre : regard vide et bouche entrouverte depuis plus de cinq minutes). Comme on n'a plus de règle en bois pour frapper son bureau, un coup de fusil bien placé dans un Powerpoint prend tout son sens. Attention avant d'appliquer ce truc : certains médicaments contre les troubles de comportement peuvent causer des problèmes cardiaques. Expérience vécue.

2.3. Le retardataire.
Lui, il est là parce qu'il arrive toujours en retard et que c'est la seule place qui reste. Point final.
À noter que l'avant de la classe sur les côtés constitue les places les moins populaires. D'après moi, c'est parce qu'ils ne voient rien au tableau. Ou que ça les oblige à se tenir de biais pendant deux heures. Ou bien parce que les jeunes, de nos jours, c'est asthmatique, donc allergique à la craie (c'est vrai, c'est allergique à tout, les enfants, aujourd'hui...). Menfin.

3. Milieu de classe, centre.
3.1. Le bon public.
Lui, je l'aime. Parce qu'il rit de mes blagues. Il répond aux questions. Il a toujours l'air d'avoir du fun. Il ne comprend pas souvent la matière, mais il a un bon sens de l'autodérision, alors quand je le reprends, ça le fait un peu marrer. Il fait ses devoirs un peu, pas beaucoup, il étudie de temps en temps et ça ne lui dérange pas de remplir les trous quand l'information repasse. C'est probablement pour ça qu'il écoute en classe. Il est un peu nonchalant, mais d'une bonne façon. Quand on a besoin d'un porte-parole dans une équipe, c'est toujours lui, le volontaire. Il vient écrire au tableau, de temps en temps, et il rit quand je dois corriger ses fautes. Il sait que le français est un passage obligé, qu'il est aussi bien de ne faire chaque cours qu'une seule fois, et basta. C'est aussi lui qui a déneigé ma voiture, cet hiver. Il est juste fin, d'une façon plus dégagée que le licheux.

3.2. L'impliqué.
Conseil étudiant, scoutisme, volley-ball et tutti quanti. Lui, il demande des permissions spéciales pour son championnat en Allemagne, te demande de l'argent pour la fondation pour les mère-monoparentales-handicapées-actives-atteintes-de-maladie-mentale-en-difficulté-financières-orphelines-qui-sont-bénévoles-à-la-spa et il prend toujours cinq minutes de ton cours pour rappeler à tout le monde de payer sa veste de soins infirmiers. Pas tout à fait un leader parce qu'il a un côté socio-impliqué trop développé, il s'attire tout de même le respect parce que tout le monde croit que c'est une bol. Erreur. Il atteint tout juste la note de passage. Mettons qu'il a d'autre chose à faire qu'étudier.

3.3. Le studieux.
Il est inscrit en sciences natures profil santé. Il veut faire médecin et vous parle sans cesse de sa cote R. S'il a en bas de 80%, c'est la crise de nerfs. Il préfère faire ses travaux seul, parce que les autres n'ont aucune idée de son ambition. Il vous fait des textes de 1000 mots alors que vous en demandez 700, et ce, sans aucune faute d'orthographe. Il veut, et il va avoir. Chaque nouvel examen est un défi à relever. Il connaît vos disponibilités, votre numéro de téléphone. S'il n'habite pas trop loin, ça se peut qu'il vienne frapper chez vous. C'est le seul que vous croisez à la bibliothèque qui n'est pas sur un ordinateur. Son seul problème, c'est le balai qu'il a dans sa prise USB. Son air sérieux vous fait peur. Son rire vous fait encore plus peur. Et le fait qu'il devienne peut-être votre gynécologue vous fait mieux comprendre votre élève anxieux.

3.4. Les BFF
Toujours en paquet de deux, les BFF se connaissent depuis le primaire et ne tolèrent pas d'être séparés. Ils vous font des yeux de pandas en danger quand vous annoncez avant un examen qu'ils doivent prendre un bureau de distance. Ils profitent du cours pour se raconter tout ce qu'elles ont fait durant la journée (le cours est à 8h am...), font leurs devoirs ensemble et usent parfois même de télépathie lors des rédactions. Attention, par contre ; ils ont une légère tendance à plagier, sans tout à fait comprendre ce que ça veut dire. Comme ils n'ont qu'une pensée commune, savoir ce qui appartient à l'un ou à l'autre devient un dédale labyrinthique obscur et insolvable. À noter que les BFF sont souvent des filles. Les bro ne se montrent pas autant d'affection en public et n'osent pas potiner pendant les travaux d'équipe.

4. Milieu de classe, côtés.
4.1. Le « Pas-tout-à-fait-branché-pareil ».
J'ai de la difficulté à le comprendre, celui-là. Il est toujours rendu au diable vert, là où personne ne pouvait soupçonner qu'il irait. Il est brillant, s'exprime bien, mais il a des réflexions...étranges. Vous ne savez pas toujours s'il joue les satyres ou s'il est vraiment bizarre. Il n'arrive jamais au même résultat que tout le monde, va vous sortir des termes étriqués, des théories issues tout droit de Frankenstein. Il déforme ce que vous dites et, quand il répète ce que vous venez de lui mentionner, vous-même ne comprenez plus. Dans ses explications, il passe par le Pérou pour aller à Montréal. En classe, la plupart de ses commentaires est automatiquement suivie d'un bruit de grillons. Bref, sa copie, à l'examen, mériterait un royal « wtf? ».

4.2. Le couple ou le wannabe-couple.
Ils crachent des petits cœurs et leurs yeux sont plein d'arcs-en-ciel. Quand ils vous posent une question, ils se regardent l'un-l 'autre.  D'une main, ils tiennent le crayon, de l'autre, ils se flattent. Des heures de temps. À la pause, ils vont frencher dans le corridor (comprendre : sur le bord de la porte) et ils s'exercent la langue presque autant que dans votre cours. Ça dégouline de romantisme, leur affaire ; vous les avez déjà vu habillés presque pareil, à la St-Valentin, ils boivent dans la même tasse à café. Leur histoire vous rappelle vaguement une vieille chanson de Joe Dassin.

4.3. Le cute
Il y en a un dans chaque classe. Il est un peu plus vieux que les étudiants, sinon, il a votre âge. Il a une belle gueule carrée, des épaules larges, une petite barde de trois jours, un dégaine de rock star, de l'arrogance. Quand vous lui posez une question, il hausse un sourcil et vous sourit en montrant ses dents blanches. Il a lu La nausée et écoute du Jacques Brel. Toutes les filles sont après lui, mais il est un éternel célibataire, parce qu'en choisir une, ce serait faire de la peine aux autres. Vous évitez sagement de rester trop longtemps seul avec lui. Et une maudite chance qu'il ne peut pas lire dans vos pensées. By the way, mon dernier m'a déjà invitée à souper. Et j'ai dit non. Kin toé.

4.4. Le surprenant.
Le surprenant n'a l'air de rien. C'est un étudiant ordinaire, échoué dans votre cours. Sauf que, pour une raison mystérieuse, quand vous allez écrire une phrase fautive au tableau et que vous allez demander quel est le problème, il va vous sortir « Ta phrase, elle a pas de prédicat ». Après un moment à reprendre votre contenance, vous lui demanderez comment ça se fait qu'il sait ça, et il va hausser les épaules. Il le sait, c'est tout. C'est un génie qui s'ignore. Il identifie toutes les figures de style avec succès, vous sort des explications fort logiques à vos questions les plus salaces, et quand vous essayez de le coincer, il décoince avec une facilité déconcertante. Malheureusement, il fait deux fautes aux trois mots. On ne peut pas tout avoir.

4.5. Le tannant
Lui, il est crasse. Il arrive sans crayon, sans feuille de cartable, sans cahier. Il ne sait pas quand sont ses examens, ne sait pas quel livre il doit lire. Il est assis tout croche sur sa chaise. Il pose toujours des questions sur des choses que vous venez d'expliquer. Quand vous le mettez en équipe, il glandouille, l'air désabusé, et fait des blagues cochonnes quand vous êtes trop loin pour entendre. C'est lui aussi qui va lever la main pour raconter une anecdote personnelle qui n'a aucun lien avec la matière. Il est le roi du malaise et de la tranche de vie, du commentaire inapproprié et des double-sens. S'il peut être un facteur comique, il est à contrôler. Cravache et pas de dessert, monsieur le commissaire.

4.6. Le nerveux.
Variation sur le thème de l'anxieux, celui-là ne flanche qu'en période de stress. C'est le genre qui oublie son livre à l'examen, qui se perd dans ses notes, qui a la lèvre qui tremble quand il regarde l'horloge. Ça fait quatre heures qu'il cherche le contact visuel et que je ne lui donne pas. Vilaine de même. Fallait que j'en parle.

4.7. Le rêveur.
C'est pas compliqué, il cherche la fenêtre. Bête comme ça. Un mouche à feu qui voit la lumière. Lui, au bout de dix minutes de cours, c'en est trop ; il s'égare des yeux dans la verte prairie. Pour une raison obscure, il s'habille souvent en noir et fait du donjon-dragon. Il lit de drôles de livres et a des référents pas tout à fait comme les autres. C'est lui qui va vous faire un lien étriqué entre Roméo et Juliette et le film Cube (#traumatisme) et qui va écrire de la poésie en marge de ses notes de cours. Son agenda est recouvert de gribouillis plus ou moins travaillés dans lesquels vous pouvez lire des phrases comme « I love Isabelle » et « At first I was affraid ». Artiste? Fucké? Un peu des deux. Ah, et pour une raison quelconque, il est myope. Tout le temps.

5. Le fond de la classe, centre.
5.1. Le p'tit criss.
J'en ai déjà parlé, c'est ma bête noire. Il est paresseux comme la peste, mais il est assez brillant pour toujours s'en sortir. S'il pouvait, il mettrait ses papattes direct sur le bureau, les mains derrières la tête, et ne foutrait rien de la période. Il se permet régulièrement de manquer un cours, mais réussit toujours ses examens sur la fesse parce qu'il est assez intelligent pour y arriver sans se forcer.  C'est un grand baveux qui veut montrer que la p'tite prof, elle ne lui fait pas peur. Des fois, je rêve que je le mord. Fort.

5.2. Le technophile
Lui, il se regarde les cuisses. Sans cesse. Il cache son téléphone dans son coffre à crayon. Dans son cartable. Il veut la montre qui va avec. Il ne peut pas s'empêcher de consulter son mur Facebook 2 fois par minutes. S'il ne le fait pas, il se met à avoir des tics : il tapoche avec son crayon, shake de la patte, mâchouille son cahier et fait pipi. D'après mes expériences, il peut tenir maximum trente minutes sans son appareil. J'ai eu beaucoup de plaisir avec ça.

5.3. La bombe à retardement
À chaque année, j'en ai eu un. Celui qui va se fâcher et vous faire une crise devant toute la classe. Vous ne savez pas s'il s'agit d'un problème hormonal ou environnemental, mais celui-là va exploser quand vous allez annoncer la date prochaine d'un examen. Comprenez qu'il est au courant depuis le début de l'année, notre coco ; c'est écrit dans son plan de cours. Et pourtant, à ce moment précis où vous annoncerez une remise, il va ouvrir son agenda et va se rendre compte qu'il a trois examens le même jour. Son côté altruiste va prendre le dessus et il va défendre coûte que coûte l'ensemble de la classe - qui s'en balance candidement. Personnellement, je prends un air dubitatif, envoie tout le monde en pause et console mon anxieux et mon nerveux qui pleurent en réclamant leur valium.

6. Le fond de la classe, côtés
6.1. Le fêtard.
Quand il réussit à se lever, il se traîne jusque dans votre classe et...dort. Profondément. Jusqu'à la pause. À cette heure, il descend à la cafétéria, s'achète un Redbull (le café, c'est pour les feluettes) qu'il cale à gorge déployée dès que son cul tombe sur sa chaise. Il s'éveille progressivement jusqu'à pleine récupération aux alentours de midi ; à 1h, il est top shape, où il assiste à son meilleur cours. Malheureusement, il manque toujours son cours de fin de journée, parce qu'il assiste déjà à sa prochaine activité...nocturne, bien sûr.

6.2. L'abonné à «ailleurs».
Ça, c'est l'étudiant dont vous ne connaissez ni le nom, ni le visage. Il a cumulé plus d'absences que tous les autres élèves - ensemble - et oublie régulièrement l'heure/le local/le contenu de votre cours. Il se pointe avec son livre de maths cinq minutes avant la fin et ne sait pas trop quel est le livre à l'étude. Pour une raison mystérieuse, je l'aime bien, celui-là. Peut-être parce qu'un devoir de moins, c'est une demi-heure de plus dans ma vie...

6.3. Le ghetto
Composé d'environ quatre membres, le ghetto se tient sur les côtés, en deux rangées de deux. La rangée la plus en avant se retourne systématiquement aux deux minutes vers la rangée d'en arrière. Ce groupe-là passe le cours ensemble, la pause ensemble, l'été ensemble et la nuit ensemble. Habillés pareil, la bouche pleine d'inside jokes, ils rigolent juste en se regardant, la calotte par en arrière. Ils étudient tous dans le même programme, viennent de la même place et détestent le travail individuel. À la pause, ils font jouer de la musique sur un cellulaire et chillent à leurs places, le corps croche. Fait intéressant, quand j'ai la joie de leur adresser une question, habituellement, les quatre répondent. Synchro parfaite.

6.4. Le légume vert
Comment finir sans parler de mon légume vert? Lui, il arrive gelé. À 8h du matin. Vous espérez donc ben que ce soit de la veille, mais l'odeur persistante et fraîche de plante grillée vous ramène à la dure réalité. Un sourire niais et une poutine en face de lui, il se bourre la face avec conviction tout en ne comprenant rien de ce que vous dite. Quand vous mentionnez le nom d'un auteur, il part à rire. Ses yeux sont tellement rouges que vous vous en servez comme pointeur laser. Chacun de ses devoirs vous rappelle les doux relents de vos propres années de cégep. Pauvre étudiant. Cette année, je lui ai conseillé de slaquer, même si ce n'est pas vraiment ma job, juste histoire de réussir à faire une phrase qui a du bon sens. Sa réponse? « Je ne me drogue pas, madame, je suis allergique aux chats ». Ben ton chat, il sent bizarre, mon gars. Il a une litière au chanvre?

7. Le facteur de remplissage

 C’est bien dommage, mais chaque classe, hors des quelques éléments représentatifs que je viens de vous démontrer, contient quelques agents de remplissage. Des intéressés qui vous regardent les yeux pleins d’espoir, des je-m’en-foutistes qui visent le fond de la classe, des présents à moitié, des absents aux trois-quarts, des échoués, des perdus, des heureux, des madames, des monsieurs, des doués et des moins doués. Ce sont les étudiantsd qui ne vous marqueront pas, mais qui font l’ambiance du cours, et que vous serez heureux de recroiser au pub du coin, dans cinq ans. Parce que c’est agréable de prendre une bière avec les étudiants, après. Pis de se faire dire : « Ouain, je suis tombé sur ton blogue…». Glup.

lundi 24 février 2014

La vie est dans : les Cyber-dépendants?

Situation d'examen. Je dispose les feuillets sur les tables avant le début de la période. Les étudiants, soudainement, se regroupent autour de mon bureau en brandissant leurs engins électroniques.

Jeune fille en fleurs : Madame, elle est où, la boîte à cellulaire?

Oui, parce que j'ai adopté ça, au début de la session. Une petite boîte à cellulaires toute simple, avec une serviette au fond. Comme un petit lit à bidules où les étudiants déposent leurs précieux engins avant le début du cours pour ne pas envie de le consulter pendant. Pratique et efficace.

Sauf quand elle n'est pas là.

Aujourd'hui, je ne donne pas de matière : pas besoin donc pour moi de jouer à la police des rêvasseurs. Ils ont des poches, des sacoches, des sacs, bref : plein de possibilités de nids douillets pour le petit boîtier à réseaux sociaux. Serrez-les, que diable!, que j'ai dit. Toute utilisation de vos trucs électroniques, vous le savez, sera considérée comme du plagiat. Et j'ai brandit le doigt.

Présentement, il doit y avoir une dizaine de téléphones qui traînent sur le coin de mon bureau. Abandonnés, les petits. Le temps d'un examen.

Allez comprendre.

P.S. J'aurais bien pris une photo, mais j'ai oublié le mien à la maison.

mercredi 19 février 2014

La vie est dans : Les petits moments 3

Aujourd'hui, remise des plans, examen préparatoire à une rédaction. Les étudiants reçoivent leurs plans et retravaillent sur leurs erreurs, s'il y en a, ou font un exercice de discrimination de concepts. Un de mes gringalets se lève et vient me voir.

Lui : Madame, j'ai eu 20 sur 25 dans mon travail.
Moi : Oui, quel est le problème? J'ai fait une erreur de calcul?
Lui : Non non, mais...(hésitation)...heum...
Moi : (qui commence à comprendre) J'ai oublié ton collant, hein?

Il l'a eu, son collant. Gratification immédiate 101 - bienvenue au cégep!

jeudi 13 février 2014

La vie est dans : Le fond des choses

Deux classes de 101 - une de soins infirmiers qui commence à comprendre ce que j'attends d'elle, une classe composée de gens en reprises et de cheminements particuliers. On serait porté à croire qu'un groupe est meilleur que l'autre ; que quelqu'un qui sera responsable d'interpréter des résultats d'examens médicaux, par exemple, ou d'analyser rapidement une situation d'urgence, saura reconnaître le propos écrit (et donc étudiable) d'un tierce individu.

Et bien, non. Les deux groupes sont poches. Pour le moment, du moins (je ne reviendrai pas sur mes compétences de prof qui, je crois, ont été suffisamment vantées jusqu'à maintenant). Cependant, je dois avouer que je n'ai pas croisé de groupes étudiants extraordinaires, jusqu'à maintenant. La faute à la matière? Non. Les étudiants souffrent dans toutes les matières abstraites. La faute à la localisation du cégep? Je ne crois pas. Les cégeps se suivent et se ressemblent : chaque région a sa particularité, mais le fond ne change pas, les jeunes sont là pour apprendre. La faute à la génération? Je doute. C'est une génération différente, certes, de celles qui l'ont précédée. Par contre, elle est allumée, elle fait des liens et, disons-le, elle sait lire. Culturellement,  elle bat donc à plate couture la génération de nos arrières grand-parents. 

« Mais, inDESScente, il est où, alors, le problème? »
J'y viens, mes agneaux, j'y viens. 

Les matières abstraites, au cégep, ont pour but de former le futur citoyen à la pensée critique. Qu'on soit en français ou en philo, c'est pareil : on cherche un raisonnement, on le décortique, on l'explique. On essaie de comprendre une mécanique, un engrenage ; les mots sont porteurs d'autre chose. C'est un casse-tête qui mérite de longues heures de réflexion. Une partie du problème réside peut-être dans le fait que l'étudiant n'est pas habitué à s'asseoir et à penser. Du début de sa vie jusqu'à ses 17 ans, l'enfant a été organisé. Pas le temps d'avoir de l'imagination, mon fils : jeux éducatifs, vite, cours de violon, dépêche, on vide ta couche et on regarde Baby Einstein, ok? Le jeune, laissé à lui-même plus tard, est noyé par le flot d'informations continu qu'il reçoit ; Google, Wikipedia, Facebook, Twitter : tous sont porteurs de messages, d'articles, d'opinions, de documentation. L'étudiant ne sait plus faire la différence entre ces concepts et, jusqu'à un certain point, ne sait pas différencier sa pensée de celle de l'autre. Il veut dire la même chose, arriver à la même réflexion. Il ne comprend plus le plagiat, parce que l'idée individuelle est devenue l'idée commune. Il travaille en équipe dans sa réflexion, n'arrive pas au même résultat seul parce que son cerveau a besoin d'une stimulation externe pour fonctionner. C'est un problème cognitif, madame, la source du problème. Et nos évaluations ne peuvent pas permettre de savoir si une classe, en général, a compris. On forme l'individu, pas la masse. Conflit.

Ou alors, les étudiants, maintenant, n'ont plus les acquis pour réussir. En entrant dans mon cours, je dois réexpliquer ce qu'est une idée. Une figure de style. Un participe passé. Ils disent n'avoir jamais croisé ces éléments, auparavant. N'avoir jamais fait un plan. N'avoir jamais écrit un texte. Certains ont plus de fautes que de mots dans leurs paragraphes, mais se retrouvent quand même dans ma classe, en 101, sans être passés par le cours de mise à niveau. Les plus forts s'ennuient et décrochent ; les plus faibles en arrachent et abandonnent. Je ne veux pas blâmer la réforme, parce que je ne crois pas que sa définition constitue la source du problème, mais plutôt son application. En effet, je connais trop de professeur(es, surtout) du primaire pour ne pas savoir que les règles, pendant six années, sont apprises et appliquées à répétition, pour créer des bases solides. C'est l'enseignement-marteau : on tape sur le clou jusqu'à ce que ça rentre. Rappels constants et gestion de classe, situations adaptatives, tics : toutes les méthodes sont bonnes pour que Jeannot comprenne comment accorder l'imparfait et subjoncte correctement. C'est de la drill, allez, Rose-Émily et Émile-Alexandre, on pousse, on force, que ça vous rentre dans la tête. Math. Français. Français. Math. Pousse-pousse-pousse. En sixième année, même les plus réfractaires aux savoirs à acquérir maîtrisent quand même la base. 

Alors voulez-vous bien me dire ce qui se passe au secondaire?

L'étudiant aurait-il besoin d'être encore aussi encadré? Ou alors, l'est-il trop? La matière est-elle enseignée pour privilégier la pérennité des connaissances, ou bourrons-nous le cerveau des ados d'inepsies dont ils ne saisissent pas le sens et dont ils se contentent de vomir le contenu sur leurs épreuves finales? Quelles sont les compétences, justement, qu'on attend d'eux? A-t-on substitué, déjà, le D.E.S., qui est censé témoigner d'un certain nombre de compétences, à un bout de papier qui prouve qu'on a usé son pantalon pendant cinq ans sur un banc? Que sait-on, en sortant de là? Je ne crois pas que la faute est aux profs - j'ai un immense respect pour ceux qui osent encore s'aventurer là. Mais où passent tous ces beaux concepts dans l'été qui sépare le secondaire du cégep? Je l'ignore.

Finalement, une autre option est à envisager. La plus triste. Celle qui remet en cause mon travail et qui critique ma société en laquelle je crois encore parce que j'en fais partie. Celle qui remet en question le cours même que je donne. Parce que rappelons-nous que le cours que je donne fait partie de la formation civique de l'étudiant. Or, je me demande si...la société veut vraiment qu'on apprenne aux jeunes à penser. Qu'on le forme, le citoyen. Le système est ainsi fait qu'il n'a qu'à se laisser guider, au fond. Apprends les règles sociales, prends ton diplôme secondaire, prends ton diplôme collégial, va travailler. L'université va te faire crever de faim : si t'es trop instruit, on ne t'engagera pas. Les baccalauréats ne se méritent jamais d'hashtag. Si tu travailles, tu consommes, si tu consommes, tu es heureux, si tu es heureux, tu ne causes pas de problème. Peu importe si tu ne comprends pas pour qui tu votes ou si tu ne saisis pas les nuances du budget. Tu fais partie d'une masse, d'un groupe, d'une page. Vous regardez tous les mêmes émissions de télé, écoutez la même musique, vous ne lisez pas, ou alors si peu, et la portée de ce que vos stimuli ne soulèvent pas la réflexion. Votre cerveau est paresseux, atrophié ; il préfère l'information prémâchée. 

En ne formant pas le citoyen à penser, il devient plus malléable, plus facile à satisfaire. À manipuler aussi. Il ne remet pas en question sa condition et n'essaie donc pas de la changer. Il ne critique pas non plus le système. Notre gouvernement, grand garnement sans façon, paternalise le Québec depuis des années et l'allaite à grands coups de promesses électorales. Il règle le problème de l'éducation en enlevant le côté abstrait des diplômes, impose dès le primaire des cours d'orientation de carrière. Mes étudiants ne se demandent pas ce qu'ils veulent faire de la vie, ils le savent : de l'argent. La plupart n'éprouve aucune passion, au cégep, n'est pas curieuse de découvrir. Ils veulent finir le programme, coûte que coûte. Ou alors, ils suivent le flot dans le programme d'intégration, parce qu'on leur a dit d'aller là, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils veulent faire dans la vie, qu'ils n'ont aucune passion, aucune saveur. Ils sont là, à n'étudier presque rien, parce que de cette manière, ils ne perdront pas de temps et qu'ils pourront travailler pendant leurs études. Or, quand le travailleur rentre chez lui après une journée à la mine, il est trop épuisé pour se demander si c'est normal qu'il soit analphabète encore à 20 ans. La société roule. La paix.

Théorie du complot ou facilité sociale? Je ne sais pas. Je ne suis qu'une petite blogueuse de fond de bureau, dans le fond. Une enseignante bizarre dans un système qui fait valoir l'éducation mercantiliste. Je refuse de prendre parti et je refuse de trouver la réponse, parce qu'il n'y en a pas. C'est ça, la magie de l'abstrait.

Y'en n'a pas, de réponse.

Faut décider si c'est ça, qu'on veut. Des machines à travailler. Des machines à recracher. Faut savoir si on peut changer. Si on veut changer. Si on veut s'investir dans le changement. Si on est encore capable de le faire, ou si le système a gagné. Faut décider tout ça.
Mais on ne le fera pas aujourd'hui. La réflexion, on la fera demain. Les devoirs aussi.
Parce qu'aujourd'hui, je vais terminer ce billet et le publier sur Facebook, sur Twitter, sur Google.
Retour au cynisme.

By the way, c'est la Saint-Valentin demain. On a le droit d'être cynique, à la Saint-Valentin.


mercredi 29 janvier 2014

La vie est dans : Port-Cartier

Il y a des gens biens, ici. Des gens très biens, Monsieur Jardin. Des gens cultivés, qui savent qui sont Jacques Brel et Stromaë, qui sont ouverts à la culture. Qui utilisent les termes «immigrés» et «différent» en lieu et place d'«importés» et de «fucké, man». Qui regardent des téléséries françaises en ne zappant pas et qui boivent du vin blanc en se disant que c'est ça, la vraie vie, plutôt que de s'écraser devant la poule avec une grosse pour passer la veillée parce qu'il n'y a rien d'autre à faire, anyway. Des gens qui travaillent dur, qui travaillent fort, mais pas seulement pour l'argent ; qui se sentent estimés, dans leur travail. Valorisés. Ils piochent, ils bûchent, ils s'usent les mains et quand ils reviennent à la maison la besace pleine de minutes en trop, ils travaillent encore parce que c'est aussi ça aimer ce qu'on fait. Des gens qui ont du coeur et douze enfants (vive les régions!) qui s'en vont encore à pied à l'école parce que l'autobus est resté pris et qui ont peur de passer la nuit au cégep parce que la route jusqu'au Havre est encore barrée. Des gens qui veulent apprendre, qui sont prêts, qui se tiennent droit et qui ne soupirent pas.  De ceux qui montent au front, qui parlent dans les assemblées, qui se fâchent, mais pas trop, parce qu'ils savent qu'ils ne détiennent pas la vérité, mais qu'ils ont au moins la conviction de leurs erreurs.

Des gens comme ça, il y en a plein, ici.
C'est juste que je n'en connais pas beaucoup.

J'habite dans les tréfonds de Port-Cartier. Si vous êtes peu familiers avec la Côte-Nord, dites-vous que c'est un peu la banlieue de Sept-Îles. C'est plus joli, plus intime, plus familial, plus petit pas mal. Le côté positif, c'est que tout est à cinq minutes, même les limites de la ville. Si vous voulez savoir ce que votre troisième voisine a mangé pour souper hier, vous allez au Tim Horton ; les commères se tiennent là, en rang, prêtes à vous informer. Vous voulez connaître l'état des routes? Vous montez sur la 138, au Relais, remplir votre auto d'essence et jaser de chiens avec la madame. Si vous feelez gastronomiques, vous vous pointez dans l'un des trois restaurants de la place pour manger du pâté chinois et du pudding au pain. 

Pour vous dire, la pancarte, quand on arrive, dit Vous étiez à Port-Cartier

Ici, tout le monde se connaît depuis l'utérus (maudite consanguinité ) et s'appelle par son nom de famille. Quand les jeunes vont porter leur CV au Provigo, le gérant leur demande « t'es le gars à qui, toi? ». Si t'as oublié de payer ton loyer le premier, c'est ta coiffeuse qui te le rappelle, parce que c'est la soeur de la blonde à la cousine de ton propriétaire et qu'il ne s'est pas gêné pour l'appeler. Les enfants, quand ils ont une question sur un devoir, ont le droit de téléphoner à leur prof jusqu'à 8 h (parce qu'après, c'est Unité 9). Le jeudi, si le poulet est en spécial, tout le village mange des Hot chickens pour souper. Puis le lundi, ça fait son épicerie, parce que c'est là que le camion arrive. Ça raconte que c'est bien beau, les glaciers, l'hiver, « mais que lâ t'es voé pas parcequ'ya trop d'brume! » et ça s'en va déneiger le chalet le samedi en skidoo, même s'il fait -1000, parce que « c'pas si pire que çâ, voyons ». Les maisons sont maganées parce que la mer a déjà débordé il y a trois ou quatre ans. Les plus pauvres vivent dans des roulottes, les plus riches dans des bungalows. Tu veux t'abonner au gym? Va voir Raymond, il fait ça dans la salle communautaire. Le cours de boxe? C'est Chantale, la fille à Jeanne. Elle a changé ses cheveux, à part ça. Tout est à vendre, tout s'achète, tout s'échange, ta vanne contre mon quatre-roues pis ton sucre à crème contre mon premier-né, ça fais-tu? Le maire, c'est l'ancien curé.

Vous voyez le genre?

Et moi, j'arrive quelque part là-dedans, dans un sous-sol de bungalow. J'ai quatre murs et un ordinateur, plus de temps qu'un baby-boomer à la retraite et les habitudes de vieilles filles qui reviennent au galop. À Rome, on fait comme les Romains ; je tricote, je jase de Thérère (?) qui est une agace-pissette, ça a l'air, parce qu'elle a niaisé Ti-Gus (??). Je partage ma recette du sucre à la crème et je passe pour avant-gardiste parce que je mets des noix dedans. Quand je dis que je vais courir le matin, le monde me demande « après quoi? ». Quand les gens apprennent que je suis maîtresse d'école au Cégep (mouain...), ils sont très impressionnés, parce qu'eux autres, ils n'ont pas beaucoup d'instruction, mais ils ont fait une belle vie pareil, pis on leur met trop d'affaires dans la tête, aux jeunes, anyway, avec toutes leurs bébelles électroniques. 

Bref, quelque part entre mes marches vers nulle part et mes conversations qui ne servent qu'à occuper un temps mort entre deux autres, j'ai tendance à m'emmêler les pouces à force de les rouler. Je cherche la civilisation entre deux montagnes et parfois, je me surprends à parler à un érable égaré. Je rêve des soirs que je peux passer à Sept-Îles, parce que là-bas, on peut boire une bière importée et manger du tartare de saumon (oui oui, du poisson cru! C'est fucké, hein?). Quand tu commences à penser que Sept-Îles est un bassin de culture, c'est que tu te trouves devant un bien petit pétri...

...ou un bien moyen pétrin.

jeudi 23 janvier 2014

La vie est dans : Les nouvelles responsabilités

C'est pas facile d'être prof au collégial. C'est encore moins facile de ne pas être prof au collégial.

Quand on sacrifie quatre ou cinq ans de sa vie à s'user les collants sur les bancs d'école, on estime que la société nous doit au moins un travail  à temps plein, sinon à temps partiel, sinon décent, sinon indécent, sinon au moins dans notre branche, sinon au moins pas loin, sinon au pire on se réorientera. Plusieurs de mes collègues se retrouvent, lorsque le froid sec de l'hiver se pointe, devant des décisions difficiles à prendre, à remâcher des mots comme « avenir », « dette » et « compromis ». Ce n'est pas facile, ce ne le sera pas pour les dix prochaines années et on le sait. Faut attendre que ça parte. Faut attendre que ça arrive. Faut attendre une tâche, un poste, une permanence. Peu osent gambler leur futur proche pour l'espoir d'un temps plein dans une contrée pas trop lointaine. Faut être un peu fou, parait-il.

Je l'ai fait. Me voici dans le Grand Nord (pour être plus précise, dans le P'tit Est, c'est pas grand, ici) à enseigner tous les jours et à risquer ma vie sur la 138, quelque part entre Port-Cartier et Sept-Îles. Je suis fière d'avoir fait ça, mais j'ai toujours une pensée pour ceux qui n'ont pas ma chance, qui n'ont pas de poste, qui se choisissent de nouvelles responsabilités.

Parce que cette session-ci, je vous envie un peu.

Dans le merveilleux monde de l'enseignement, il existe une chose merveilleuse qui s'appelle : « la libération de tâche ». Parce qu'un enseignant n'est pas juste un enseignant (voir « comment-remplacer-le-parent-dans-l'éducation-de-son-kid-pis-enlève-les-pieds-de-la-chaise! » ). Il peut être aussi coordonnateur, chargé de projet, représentant syndical, gna gna...Et il faut lui trouver du temps pour faire tout ça, parce que la Côte-Nord, c'est loin, mais y'a quand même moyen de se tricoter une vie entre deux ours et un orignal. Et, comme ma naïveté, mon innocence, mon ambition assassine et ma fatalité carriériste permettent à mon département de mon confier bien des choses sans jamais risquer un refus, me voilà RepFran pour une session.

Oui. Moi. RepFran. Merci, merci.
Ahem...Kessé ça?
Heum...et bien...

Le RepFran, qu’est-ce que c’est?

Le réseau RepFran (réseau des RÉPondants du dossier de la valorisation du FRANçais dans les collèges) est un projet d’offre de services permettant l’amélioration de la qualité du français des étudiants, du personnel enseignant et des membres de la communauté collégiale[1]. Le RepFran propose plusieurs activités qui ont pour but de promouvoir le bon usage du français, mais également de diversifier les interventions pédagogiques effectuées auprès des étudiants et d’outiller le personnel enseignant et professionnel.


Ok, mais...kessé ça?

En gros, ça fait tout ce qui a rapport de près ou de loin avec le français dans un collège. Ça offre un service de correction à tout le monde, ça monte des projets ludiques, ça enquête sur les projets de réussite, ça gère le suivi des étudiants en difficulté, ça dessine l'horaire du Centre d'Aide en Français et ça fait une dépression au bout de trois semaines.

Je suis déjà le bébé du département. À ce que j'en sais, je suis le bébé des RepFran du réseau aussi. Et comme je ne fais jamais rien à moitié (sauf le ménage, tsé, je suis humaine aussi), je me suis monté une quinzaine de projets de recherche et d'activités et de services qui n'attendent que moi pour se réaliser. Quand j'entre dans mon bureau le matin, ils me crient après.

Et ils crient tous : « MOUAAAAA! »

Je passe mes journées à courir, j'use mes talons hauts, mon agenda est plein de rendez-vous, des gens que je ne connais pas m'appellent par mon nom et je suis tout le temps au téléphone. Je suis sur le bord de m'engager une secrétaire. On me prévoit des colloques, des conférences, je parle avec les directeurs des études et avec les madames responsables des centres d'aide de toute la province (jamais tombée sur un gars, encore!), je lis des affaires qui ne font aucun sens et...je le dis. J'ai l'impression que j'ai du front tout le tour de la tête quand je m'adresse à mes collègues et qu'ils se rapportent à moi, bref, je domine le département...

...ou pas. En vrai, j'ai sérieusement peur de me cogner le nez quelque part avec ça. Je me bats depuis une semaine avec l'ordinateur du RepFran qui ne veut rien savoir de moi, la mise en page de l'horaire du CAF change toute seule, il y a trop d'étudiants pour le nombre de tuteurs possibles, je dois organiser une semaine du français...je me sens un peu perdue. Quand j'ai envie de faire manger mon agenda à la photocopieuse qui refuse encore mon nouveau mot de passe, quand j'entends le bruit du 29ème courriel hyper-important de la journée, quand j'entends quelqu'un dire « des chevals » en passant devant la salle des employés, dans ce temps-là, je pense à vous qui n'avez pas de travail.

Bon, d'accord, je ne vous envie pas vraiment. J'adore mon job.
Mais je pense à vous...


[1] Stéphanie Carle (collège Montmorency) et de Julie Roberge (cégep André-Laurendeau),  « La nécessité de créer un réseau de répondants en français », Correspondance, vol. 17, no 3, avril 2012, p. 3-6

mardi 19 novembre 2013

La vie est dans : Revenir dans ses souliers.


Ben kin!

Épargnez-moi les classiques « T'étais pas morte, toi ? » et « Je pensais que tu t'étais fait enlever par les extra-terrestres », la vérité n'en est rien. Votre inDESScente, fière de son indécence professorale, et toujours en action...ou du moins, l'est revenue tout récemment, car, après vous avoir épargné ses splendides aventures de cocotte au chômage, la revoici dans sa classe et à...Sept-Îles.

Bon, revenons à la première personne, voulez-vous?

Après quelques mois d'Explore (où j'ai passé très près de débarrasser la terre de deux ou trois hispanos obstinés), j'ai reçu l'appel fatidique de la bonne-mauvaise nouvelle. Effectivement, c'est bien malheureux, le malheur d'autrui ; cependant, en début de carrière, faut se l'avouer, on compte un peu là-dessus. Des doigts pincés dans les portes qui empêchent de tenir la craie aux pattes emmêlées dans les sacs d'étudiants qui traînent à coeur de plancher, toute raison est bonne pour prendre un congé maladie, n'est-ce pas? Et c'est bien sûr là que les aspirant-e-s à la profession se retrouvent sur les dents, habituellement quatre-vingt-douze à appliquer pour le même poste.

Mais pas à Sept-Îles.

Après avoir essuyé une profonde tristesse suite au départ d'une collègue, mes employeurs se sont vus bien embêtés, croyant que je serais bien hésitante à abandonner chatons et boyfriend-ish-plus-tant-ish pour me précipiter dans Saint-Très-Loin. Bien sûr, c'est mal me connaître et, aussitôt ma valise faite, je me suis précipitée, nez au vent et mains au volant, vers ce que je croyais être un retour dans mes vieux souliers. Un groupe de 101, un groupe de renforcement en français et une cohorte d'éducation spécialisée, j'ai déjà vu ça...non?

Erreur, mes amours, mes amis. Grossière erreur. Faire un remplacement, c'est comme arriver sur les lieux d'un accident, mettre les vêtements de la victime et finir sa journée. Vous ne savez jamais où vous allez, vos élèves sont paniqués et vous vous retrouvez à parler d'un livre que vous n'avez pas lu. Parce que, lorsque le téléphone sonne, les Ressources Humaines du Saint très Haut Corps Professoral ne vous demandent pas si vous auriez l'obligeance de vous présenter dans les prochaines semaines. Nanon. Ça ressemble plus à : « Pourrais-tu être là hier? ».

 

Me revoici donc dans un bureau bordélique à gérer des post-its qui ne portent pas ma griffe, à déchiffrer des grilles de corrections que je ne maîtrise pas et à me taper en vitesse les œuvres au programme. Quand même, j'estime m'être revirée de bord comme une pro : j'ai un logement, quasiment une routine, je suis organisée...

 

...ou presque. Je me suis pointée à 8h du matin aujourd'hui. Mes cours commencent à 2h.

On va s'ajuster.