lundi 24 février 2014

La vie est dans : les Cyber-dépendants?

Situation d'examen. Je dispose les feuillets sur les tables avant le début de la période. Les étudiants, soudainement, se regroupent autour de mon bureau en brandissant leurs engins électroniques.

Jeune fille en fleurs : Madame, elle est où, la boîte à cellulaire?

Oui, parce que j'ai adopté ça, au début de la session. Une petite boîte à cellulaires toute simple, avec une serviette au fond. Comme un petit lit à bidules où les étudiants déposent leurs précieux engins avant le début du cours pour ne pas envie de le consulter pendant. Pratique et efficace.

Sauf quand elle n'est pas là.

Aujourd'hui, je ne donne pas de matière : pas besoin donc pour moi de jouer à la police des rêvasseurs. Ils ont des poches, des sacoches, des sacs, bref : plein de possibilités de nids douillets pour le petit boîtier à réseaux sociaux. Serrez-les, que diable!, que j'ai dit. Toute utilisation de vos trucs électroniques, vous le savez, sera considérée comme du plagiat. Et j'ai brandit le doigt.

Présentement, il doit y avoir une dizaine de téléphones qui traînent sur le coin de mon bureau. Abandonnés, les petits. Le temps d'un examen.

Allez comprendre.

P.S. J'aurais bien pris une photo, mais j'ai oublié le mien à la maison.

mercredi 19 février 2014

La vie est dans : Les petits moments 3

Aujourd'hui, remise des plans, examen préparatoire à une rédaction. Les étudiants reçoivent leurs plans et retravaillent sur leurs erreurs, s'il y en a, ou font un exercice de discrimination de concepts. Un de mes gringalets se lève et vient me voir.

Lui : Madame, j'ai eu 20 sur 25 dans mon travail.
Moi : Oui, quel est le problème? J'ai fait une erreur de calcul?
Lui : Non non, mais...(hésitation)...heum...
Moi : (qui commence à comprendre) J'ai oublié ton collant, hein?

Il l'a eu, son collant. Gratification immédiate 101 - bienvenue au cégep!

jeudi 13 février 2014

La vie est dans : Le fond des choses

Deux classes de 101 - une de soins infirmiers qui commence à comprendre ce que j'attends d'elle, une classe composée de gens en reprises et de cheminements particuliers. On serait porté à croire qu'un groupe est meilleur que l'autre ; que quelqu'un qui sera responsable d'interpréter des résultats d'examens médicaux, par exemple, ou d'analyser rapidement une situation d'urgence, saura reconnaître le propos écrit (et donc étudiable) d'un tierce individu.

Et bien, non. Les deux groupes sont poches. Pour le moment, du moins (je ne reviendrai pas sur mes compétences de prof qui, je crois, ont été suffisamment vantées jusqu'à maintenant). Cependant, je dois avouer que je n'ai pas croisé de groupes étudiants extraordinaires, jusqu'à maintenant. La faute à la matière? Non. Les étudiants souffrent dans toutes les matières abstraites. La faute à la localisation du cégep? Je ne crois pas. Les cégeps se suivent et se ressemblent : chaque région a sa particularité, mais le fond ne change pas, les jeunes sont là pour apprendre. La faute à la génération? Je doute. C'est une génération différente, certes, de celles qui l'ont précédée. Par contre, elle est allumée, elle fait des liens et, disons-le, elle sait lire. Culturellement,  elle bat donc à plate couture la génération de nos arrières grand-parents. 

« Mais, inDESScente, il est où, alors, le problème? »
J'y viens, mes agneaux, j'y viens. 

Les matières abstraites, au cégep, ont pour but de former le futur citoyen à la pensée critique. Qu'on soit en français ou en philo, c'est pareil : on cherche un raisonnement, on le décortique, on l'explique. On essaie de comprendre une mécanique, un engrenage ; les mots sont porteurs d'autre chose. C'est un casse-tête qui mérite de longues heures de réflexion. Une partie du problème réside peut-être dans le fait que l'étudiant n'est pas habitué à s'asseoir et à penser. Du début de sa vie jusqu'à ses 17 ans, l'enfant a été organisé. Pas le temps d'avoir de l'imagination, mon fils : jeux éducatifs, vite, cours de violon, dépêche, on vide ta couche et on regarde Baby Einstein, ok? Le jeune, laissé à lui-même plus tard, est noyé par le flot d'informations continu qu'il reçoit ; Google, Wikipedia, Facebook, Twitter : tous sont porteurs de messages, d'articles, d'opinions, de documentation. L'étudiant ne sait plus faire la différence entre ces concepts et, jusqu'à un certain point, ne sait pas différencier sa pensée de celle de l'autre. Il veut dire la même chose, arriver à la même réflexion. Il ne comprend plus le plagiat, parce que l'idée individuelle est devenue l'idée commune. Il travaille en équipe dans sa réflexion, n'arrive pas au même résultat seul parce que son cerveau a besoin d'une stimulation externe pour fonctionner. C'est un problème cognitif, madame, la source du problème. Et nos évaluations ne peuvent pas permettre de savoir si une classe, en général, a compris. On forme l'individu, pas la masse. Conflit.

Ou alors, les étudiants, maintenant, n'ont plus les acquis pour réussir. En entrant dans mon cours, je dois réexpliquer ce qu'est une idée. Une figure de style. Un participe passé. Ils disent n'avoir jamais croisé ces éléments, auparavant. N'avoir jamais fait un plan. N'avoir jamais écrit un texte. Certains ont plus de fautes que de mots dans leurs paragraphes, mais se retrouvent quand même dans ma classe, en 101, sans être passés par le cours de mise à niveau. Les plus forts s'ennuient et décrochent ; les plus faibles en arrachent et abandonnent. Je ne veux pas blâmer la réforme, parce que je ne crois pas que sa définition constitue la source du problème, mais plutôt son application. En effet, je connais trop de professeur(es, surtout) du primaire pour ne pas savoir que les règles, pendant six années, sont apprises et appliquées à répétition, pour créer des bases solides. C'est l'enseignement-marteau : on tape sur le clou jusqu'à ce que ça rentre. Rappels constants et gestion de classe, situations adaptatives, tics : toutes les méthodes sont bonnes pour que Jeannot comprenne comment accorder l'imparfait et subjoncte correctement. C'est de la drill, allez, Rose-Émily et Émile-Alexandre, on pousse, on force, que ça vous rentre dans la tête. Math. Français. Français. Math. Pousse-pousse-pousse. En sixième année, même les plus réfractaires aux savoirs à acquérir maîtrisent quand même la base. 

Alors voulez-vous bien me dire ce qui se passe au secondaire?

L'étudiant aurait-il besoin d'être encore aussi encadré? Ou alors, l'est-il trop? La matière est-elle enseignée pour privilégier la pérennité des connaissances, ou bourrons-nous le cerveau des ados d'inepsies dont ils ne saisissent pas le sens et dont ils se contentent de vomir le contenu sur leurs épreuves finales? Quelles sont les compétences, justement, qu'on attend d'eux? A-t-on substitué, déjà, le D.E.S., qui est censé témoigner d'un certain nombre de compétences, à un bout de papier qui prouve qu'on a usé son pantalon pendant cinq ans sur un banc? Que sait-on, en sortant de là? Je ne crois pas que la faute est aux profs - j'ai un immense respect pour ceux qui osent encore s'aventurer là. Mais où passent tous ces beaux concepts dans l'été qui sépare le secondaire du cégep? Je l'ignore.

Finalement, une autre option est à envisager. La plus triste. Celle qui remet en cause mon travail et qui critique ma société en laquelle je crois encore parce que j'en fais partie. Celle qui remet en question le cours même que je donne. Parce que rappelons-nous que le cours que je donne fait partie de la formation civique de l'étudiant. Or, je me demande si...la société veut vraiment qu'on apprenne aux jeunes à penser. Qu'on le forme, le citoyen. Le système est ainsi fait qu'il n'a qu'à se laisser guider, au fond. Apprends les règles sociales, prends ton diplôme secondaire, prends ton diplôme collégial, va travailler. L'université va te faire crever de faim : si t'es trop instruit, on ne t'engagera pas. Les baccalauréats ne se méritent jamais d'hashtag. Si tu travailles, tu consommes, si tu consommes, tu es heureux, si tu es heureux, tu ne causes pas de problème. Peu importe si tu ne comprends pas pour qui tu votes ou si tu ne saisis pas les nuances du budget. Tu fais partie d'une masse, d'un groupe, d'une page. Vous regardez tous les mêmes émissions de télé, écoutez la même musique, vous ne lisez pas, ou alors si peu, et la portée de ce que vos stimuli ne soulèvent pas la réflexion. Votre cerveau est paresseux, atrophié ; il préfère l'information prémâchée. 

En ne formant pas le citoyen à penser, il devient plus malléable, plus facile à satisfaire. À manipuler aussi. Il ne remet pas en question sa condition et n'essaie donc pas de la changer. Il ne critique pas non plus le système. Notre gouvernement, grand garnement sans façon, paternalise le Québec depuis des années et l'allaite à grands coups de promesses électorales. Il règle le problème de l'éducation en enlevant le côté abstrait des diplômes, impose dès le primaire des cours d'orientation de carrière. Mes étudiants ne se demandent pas ce qu'ils veulent faire de la vie, ils le savent : de l'argent. La plupart n'éprouve aucune passion, au cégep, n'est pas curieuse de découvrir. Ils veulent finir le programme, coûte que coûte. Ou alors, ils suivent le flot dans le programme d'intégration, parce qu'on leur a dit d'aller là, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils veulent faire dans la vie, qu'ils n'ont aucune passion, aucune saveur. Ils sont là, à n'étudier presque rien, parce que de cette manière, ils ne perdront pas de temps et qu'ils pourront travailler pendant leurs études. Or, quand le travailleur rentre chez lui après une journée à la mine, il est trop épuisé pour se demander si c'est normal qu'il soit analphabète encore à 20 ans. La société roule. La paix.

Théorie du complot ou facilité sociale? Je ne sais pas. Je ne suis qu'une petite blogueuse de fond de bureau, dans le fond. Une enseignante bizarre dans un système qui fait valoir l'éducation mercantiliste. Je refuse de prendre parti et je refuse de trouver la réponse, parce qu'il n'y en a pas. C'est ça, la magie de l'abstrait.

Y'en n'a pas, de réponse.

Faut décider si c'est ça, qu'on veut. Des machines à travailler. Des machines à recracher. Faut savoir si on peut changer. Si on veut changer. Si on veut s'investir dans le changement. Si on est encore capable de le faire, ou si le système a gagné. Faut décider tout ça.
Mais on ne le fera pas aujourd'hui. La réflexion, on la fera demain. Les devoirs aussi.
Parce qu'aujourd'hui, je vais terminer ce billet et le publier sur Facebook, sur Twitter, sur Google.
Retour au cynisme.

By the way, c'est la Saint-Valentin demain. On a le droit d'être cynique, à la Saint-Valentin.