samedi 7 juillet 2012

La vie est dans : Le changement de clientèle

De la job au cégep...y'en a pas.

Bon, d'accord. Il y en a un petit peu. Mais pas assez pour subvenir aux besoins financiers des cohortes qui sortent de l'école, les poches pleines de socio-constructivisme. Nos chers baby-boomers sont encore là, le cours classique au bec, et en attendant que ça meure, il faut bien trouver un moyen de se faire du blé.

Je pensais à me partir une industrie de fausses cartes d'identité, à démarrer un système de vente pyramidale spécialisé dans la vente de litière feng shui pour chat, ou même (oh malheur) à faire quelque chose de légal pour subvenir à mes besoins, quand soudain est arrivée...

LA JOB.

Celle qui semble parfaite. Bien payée. Pas trop loin. Belles conditions, beaux horaires. Seul pépin : je n'enseignerais pas au Cégep, mais bien à de jolies têtes blondes du secondaire. En fait, pour être précise, du Hight School. Oui oui, chers lecteurs, votre DESScente préférée devant un clan de mineurs (entre 14 et 17 ans) totalement terrifiés et en immersion pour 5 semaine en terre francophone. J'en bavais de plaisir, me souvenant de moi au secondaire, avide de connaissances, de littérature, de langues étrangères, motivée, passionnée et engagée dans ma réussite...

Bon, dans mon cas, y'avait pas d'homme dans l'école...

J'ai passé deux semaines à me monter un plan de cours en béton. Mes préparations? Complètes et détaillées. Mes activités? Éducatives et solides. Mes horaires? Clairs et chargés. J'étais prête, bien chaussée dans mon plan de cours et bien gantée de ma délicatesse habituelle. Je suis arrivée d'avance lundi, l'espoir dans les yeux et le stress dans le ventre, j'ai récupéré la clef de mon local, ma liste d'élèves et BANG!

...je suis devenue une prof.

Vous pensez qu'on a une préparation quelconque à ça? D'accord. Pensez à une définition du feu. Lisez une définition du feu. Faites une recherche sur les diverses façons de faire du feu.

Vous y êtes? Maintenant, allumez un feu et jetez-vous dedans.

Enseigner, c'est ça. Ou tu te brûles, ou tu trouves un moyen de te sortir de là. Mes étudiants sont arrivés, encore sur le décalage horaire, avec 2-3 heures de sommeil dans le corps, intimidés, isolés, sans un crayon, sans un cahier, avec un air de « c'mon teacher! Do this fast».

Et, comme je suis crinquée dans la vie, j'ai choisi, naturellement, le groupe le plus débutant. Quand j'ai compris qu'ils ne savaient même pas dire bonjour, j'ai saisi qu'on partait de crissement loin. Ils ne comprenaient pas non plus quand je leur demandais de dire leurs noms. Vous savez quoi? On pédale, dans ce temps-là. On danse, on chante, on monte sur le bureau, on dessine au tableau. On essaie de leur faire comprendre. Parce que l'anglais, c'est interdit. On ne peut pas se traduire.

Alors tu te débrouilles. Comme tu peux.

On a eu trois démissions, cette semaine, dans l'équipe de profs.
Moi, j'ai décidé de faire à ma tête.

J'ai ramené l'InDESScente.

Je fais ce qu'il faut. Je crée des situations pour les faire rire. Je les équipe en duo-tang, en exercices, en crayons s'il le faut. Je les sors dehors le plus souvent possible, pour faire des jeux où ils apprennent sans s'en rendre compte et où ils n'ont pas l'impression d'être pris dans une classe un 4 juillet (mes deux américains avaient ben de la misère avec ça!). En désespoir de cause, parfois, je les bourre de sucre. Au moins, pendant qu'ils mangent, ils se la ferment, et on a le temps de comprendre la différence entre « avoir » et « être ».

Je ne peux pas vous raconter tout ce qui s'est passé cette semaine dans cette salle de classe de ce certain pavillon au dédale obscur, ce serait trop long et j'ai une chasse aux trésors à finir de préparer. Cependant, je peux vous suggérer les Hilights d'une semaine que je ne referais pas de sitôt.

Lundi : Nous jouons à la classe musicale. Quand la musique s'arrête, les profs s'échangent des élèves. Certains de nos petits (les coquins) trichent pour rester dans la même classe que leurs amis.

Plusieurs profs arrivent à notre salle commune, paniqués devant le manque de motivation des élèves. Va falloir fouetter, ça a l'air.

Mardi : Combien ça prend de prof pour faire fonctionner une imprimante? Une seule, qui va séduire le technicien.

Je distribue des duo-tangs aux élèves. On fait du design d'un appartement, du vocabulaire (les fruits) et on remplit un passeport. Ma classe au complet me demande de jouer à des jeux plus physiques. Je promets en me demandant bien ce qu'on va faire.


Mercredi : On va jouer dans une corridor le matin. J'invente des jeux à mesure, je cherche des ceux qu'on a fait en initiation, dans les camps de jours, en camping ou dans l'auto. C'est un succès. Je les fatigue à mort, et après, on retourne en classe. On apprend les couleurs avec des suçons. Le sucre, tant que c'est éducatif, c'est correct, bon.

À la deuxième période, j'ai un petit accident diplomatique. Pendant que j'explique quelque chose, je m'aperçois que la craie de j'avais dans les mains n'y est plus. Elle n'est pas tombée par terre. Et tous mes élèves ont les yeux fixés sur mon décolleté. Question du jour : vais-je aller la chercher?

Jeudi : J'échange de classe avec une collège. On joue à la tornade (vous essayerez de traduire le jeu Twister, vous autres...). Les gars sont vraiment poches, alors je leur promet un jeu à la hauteur le lendemain.

De retour en classe, quand j'annonce qu'on va travailler le vocabulaire des légumes, une élève crie : Youhou!!! - d'un ton absolument pas ironique. Je ne pensais jamais récolter de « Youppi » pour un céleri. Pour un concombre, je dis pas...

Vendredi : Jeux extérieurs. Les gars sautent comme des grenouilles à la corde à danser. Je leur fais sauter les douze mois de l'année, chanter l'alphabet...Après, on fait des courses à obstacles
et les gars vengent leur honneur. À la pause, une autre prof, découragée de ses élèves, décide de me les envoyer. On organise une compétition. Ma classe, super-trop-compétitive, leur sacre une volée. Je leur apprends la phrase québécoise : KIN TOÉ!

Ce n'est pas un travail facile : tout le monde cours après le temps. Mais vous savez quoi? Je commence à adorer ça. Quand je ne suis pas grimpée sur un bureau, je cours pour attraper un élève dans un champ, je grimpe aux arbres, je pars des petits trains dans le corridor et je joue à « Valérie dit : FERMEZ VOS GUEULES!». Mon plan de cours est suivi, les élèves apprennent.


Et bon, d'accord, ils pensent que je suis complètement folle.
Mais folle, c'est proche de cool...non?

1 commentaire:

  1. Mon dieu, t'es vraiment courageuse d'avoir choisi ce niveau-là, et pleine d'imagination; je fais du complexe, moi qui me trouvais dynamique et créative, je me sens comme une croute de vieux fromage à pâte lavée...
    Émilie

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