samedi 18 août 2012

La vie est dans : Mon roman

Comme vous le savez, chers lecteurs, mon vrai travail dans la vie, c'est écrivain. Oui oui! Or donc, quand on est écrivain, ça a l'air qu'on gribouille des trucs sur des p'tits bouts de papier, qu'on envoie ça à un petit éditeur, qui envoie ça lui-même à un p'tit imprimeur et qu'on reçoit ça un p'tit bout de temps après dans un p'tit bouquin.

C'est pas joli, ça?

Soyons honnêtes, mon roman, bien que sous contrat de publication, n'est pas encore prêt à être mis sous presse. Sa correction occupe donc une bonne partie de ma vie ces temps-ci, et croyez-moi, c'est bien loin des exercices clownesques du travail de professeur au quotidien. J'avais cependant envie de partager quelque chose avec vous, quelque chose de mon style «littéraire» d'écriture, et qui, peut-être, vous donnerait éventuellement le goût d'acheter mon roman dans un futur proche.

Voici donc, pour vous, lecteurs privilégiés, une petite nouvelle de rien du tout. Juste pour le plaisir. Bonne lecture!

- Nouvelle 418


Je me souviens de son index sur mon poignet. Un contact léger, délicat, rassurant, qui me fit lever le visage vers le sien. Son sourire chaleureux ne me réconforta pas, mais je me sentis tout de suite moins seule, dans la grande église. Je ne pus cependant affronter son regard, car je savais que j’y aurais trouvé toute la pitié et la sympathie du monde. Je n’étais pas prête pour cela. Pas encore. Pas tout de suite.

Le prêtre parlait mais je n’y portais aucune attention. Je ne voulais sentir que cet index, chaud et solide, contre l’intérieur de mon poignet. Il suivait la ligne de mon bracelet d’or, jusqu’à la limite du côté, puis revenait au centre, et encore de l’autre côté. Avec lenteur, je le sentis glisser, tout le long de la veine qui battait faiblement, s'arrêtant au creux de ma paume. Un pouce l’accompagna, fidèle, le long de mes doigts. Tous deux  se mirent à caresser ma peau jusqu’à la limite de l’ongle, puis à remontrer sans se presser le long des phalanges. Je fermai les yeux pour mieux apprécier la tendresse de cette étreinte. Comme si nous faisions un pied de nez au Seigneur. J’avais le goût de pencher la tête vers lui et de m’appuyer sur son épaule forte, son épaule d’homme. Et de pleurer. Dieu! que j’avais le goût de pleurer. Mais je ne pouvais pas. Personne n’aurait compris. Je dus me faire violence pour fixer mon regard sur la cérémonie et mon attention sur ces doigts contre les miens, sur cette tentative de lumière dans la nuit qui s’installait, chassant le soleil des vitraux que je trouvais si beaux.

Alors que le curé chantait, la caresse devint plus intime. Les doigts passaient entre les miens, en exploraient les creux, les lignes et les ombres. Je laissais la paume ouverte, le dos de ma main appuyé contre ma cuisse, et lui s’y promenait, sans se soucier des gens autour. Personne ne nous regardait, de toute façon. Je sentis ses ongles – trop longs pour un homme – racler avec douceur la surface plate, juste sous les doigts, et s'arrêter au gonflement de ma paume. Ils escaladèrent le mont du pouce avec attention, en dessinèrent les contours deux, trois fois, puis suivirent le chemin des doigts jusqu’au plus petit. Puis, ils recommencèrent. Encore et encore. Sans se lasser jamais, tout au long de la messe. Que nous fixions tous les deux sans la voir. Sans vouloir la regarder.

Et puis, alors que le prêtre appelait au Sacrement et avec toute la conviction que mon désespoir appelait, la main s’est refermée sur la mienne. Si vite, de façon si brusque, que j’en ai sursauté. Je le sentis la serrer. Si fort. Si longtemps. Au désespoir, j’ai serré moi aussi. Assez pour faire taire le hurlement qui gonflait ma poitrine. 

Là, seulement,  j’ai osé verser une larme. Une larme échappée d’un sanglot beaucoup plus lourd, beaucoup plus profond, qui sait qu'il n'aura plus d'autre occasion de se faire entendre. Un immense sanglot qui resterait là, caché pour toujours à l’intérieur de moi, et dont personne ne serait jamais témoin.  La larme fit briller mon œil un instant, puis s’en dégagea pour glisser, brûlante, le long de ma joue. Elle y resta suspendue un instant, incertaine, indolente. Je fermai les yeux et après quelque seconde, elle tomba, dans le silence et l'indifférence.

Si lui la remarqua, il n’en fit rien. Il resta là, immobile, perdu dans le spectacle et dans ses pensées, sans aucune autre solution que de me serrer la main jusqu’à m’en broyer les os.  Et je le laissai faire. J’étais impuissante, moi aussi. Et je m'obligeai à remonter le regard vers lui. Car je devais le regarder. Je ne le pourrais plus jamais.

Parce qu’aujourd’hui, tout allait changer. Cette femme, devant l’autel, qui embrassait cet homme, ce n’était pas ma mère. Et cet homme qui venait de relever son voile ne regarderait plus jamais ma mère avec ces yeux-là. Ma mère, aujourd’hui, disparaissait pour toujours de cette vie qu’elle avait tant aimé.

Pour laisser sa place à une autre mère. Le véritable amour de mon père. Son amour de jeunesse, celle qui avait attendu si longtemps pour venir le retrouver. Cette mère qui n'avait aimé qu'un seul homme dans sa vie.

La mère de l’homme assis à mes côtés.

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