jeudi 23 janvier 2014

La vie est dans : Les nouvelles responsabilités

C'est pas facile d'être prof au collégial. C'est encore moins facile de ne pas être prof au collégial.

Quand on sacrifie quatre ou cinq ans de sa vie à s'user les collants sur les bancs d'école, on estime que la société nous doit au moins un travail  à temps plein, sinon à temps partiel, sinon décent, sinon indécent, sinon au moins dans notre branche, sinon au moins pas loin, sinon au pire on se réorientera. Plusieurs de mes collègues se retrouvent, lorsque le froid sec de l'hiver se pointe, devant des décisions difficiles à prendre, à remâcher des mots comme « avenir », « dette » et « compromis ». Ce n'est pas facile, ce ne le sera pas pour les dix prochaines années et on le sait. Faut attendre que ça parte. Faut attendre que ça arrive. Faut attendre une tâche, un poste, une permanence. Peu osent gambler leur futur proche pour l'espoir d'un temps plein dans une contrée pas trop lointaine. Faut être un peu fou, parait-il.

Je l'ai fait. Me voici dans le Grand Nord (pour être plus précise, dans le P'tit Est, c'est pas grand, ici) à enseigner tous les jours et à risquer ma vie sur la 138, quelque part entre Port-Cartier et Sept-Îles. Je suis fière d'avoir fait ça, mais j'ai toujours une pensée pour ceux qui n'ont pas ma chance, qui n'ont pas de poste, qui se choisissent de nouvelles responsabilités.

Parce que cette session-ci, je vous envie un peu.

Dans le merveilleux monde de l'enseignement, il existe une chose merveilleuse qui s'appelle : « la libération de tâche ». Parce qu'un enseignant n'est pas juste un enseignant (voir « comment-remplacer-le-parent-dans-l'éducation-de-son-kid-pis-enlève-les-pieds-de-la-chaise! » ). Il peut être aussi coordonnateur, chargé de projet, représentant syndical, gna gna...Et il faut lui trouver du temps pour faire tout ça, parce que la Côte-Nord, c'est loin, mais y'a quand même moyen de se tricoter une vie entre deux ours et un orignal. Et, comme ma naïveté, mon innocence, mon ambition assassine et ma fatalité carriériste permettent à mon département de mon confier bien des choses sans jamais risquer un refus, me voilà RepFran pour une session.

Oui. Moi. RepFran. Merci, merci.
Ahem...Kessé ça?
Heum...et bien...

Le RepFran, qu’est-ce que c’est?

Le réseau RepFran (réseau des RÉPondants du dossier de la valorisation du FRANçais dans les collèges) est un projet d’offre de services permettant l’amélioration de la qualité du français des étudiants, du personnel enseignant et des membres de la communauté collégiale[1]. Le RepFran propose plusieurs activités qui ont pour but de promouvoir le bon usage du français, mais également de diversifier les interventions pédagogiques effectuées auprès des étudiants et d’outiller le personnel enseignant et professionnel.


Ok, mais...kessé ça?

En gros, ça fait tout ce qui a rapport de près ou de loin avec le français dans un collège. Ça offre un service de correction à tout le monde, ça monte des projets ludiques, ça enquête sur les projets de réussite, ça gère le suivi des étudiants en difficulté, ça dessine l'horaire du Centre d'Aide en Français et ça fait une dépression au bout de trois semaines.

Je suis déjà le bébé du département. À ce que j'en sais, je suis le bébé des RepFran du réseau aussi. Et comme je ne fais jamais rien à moitié (sauf le ménage, tsé, je suis humaine aussi), je me suis monté une quinzaine de projets de recherche et d'activités et de services qui n'attendent que moi pour se réaliser. Quand j'entre dans mon bureau le matin, ils me crient après.

Et ils crient tous : « MOUAAAAA! »

Je passe mes journées à courir, j'use mes talons hauts, mon agenda est plein de rendez-vous, des gens que je ne connais pas m'appellent par mon nom et je suis tout le temps au téléphone. Je suis sur le bord de m'engager une secrétaire. On me prévoit des colloques, des conférences, je parle avec les directeurs des études et avec les madames responsables des centres d'aide de toute la province (jamais tombée sur un gars, encore!), je lis des affaires qui ne font aucun sens et...je le dis. J'ai l'impression que j'ai du front tout le tour de la tête quand je m'adresse à mes collègues et qu'ils se rapportent à moi, bref, je domine le département...

...ou pas. En vrai, j'ai sérieusement peur de me cogner le nez quelque part avec ça. Je me bats depuis une semaine avec l'ordinateur du RepFran qui ne veut rien savoir de moi, la mise en page de l'horaire du CAF change toute seule, il y a trop d'étudiants pour le nombre de tuteurs possibles, je dois organiser une semaine du français...je me sens un peu perdue. Quand j'ai envie de faire manger mon agenda à la photocopieuse qui refuse encore mon nouveau mot de passe, quand j'entends le bruit du 29ème courriel hyper-important de la journée, quand j'entends quelqu'un dire « des chevals » en passant devant la salle des employés, dans ce temps-là, je pense à vous qui n'avez pas de travail.

Bon, d'accord, je ne vous envie pas vraiment. J'adore mon job.
Mais je pense à vous...


[1] Stéphanie Carle (collège Montmorency) et de Julie Roberge (cégep André-Laurendeau),  « La nécessité de créer un réseau de répondants en français », Correspondance, vol. 17, no 3, avril 2012, p. 3-6

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